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L’art de raconter et l’art de jouer, entretien avec Hassan El-Geretly, artiste et homme de théâtre égyptien

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Premier spectacle égyptien programmé au Festival d’Avignon, Haeeshek, Je te (sur)vivrai, a été présenté pour la première fois en France dans la Cour minérale de l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse du 14 au 18 juillet 2014. Puisant dans des sources de différentes natures, le travail de Hassan El-Geretly explore la culture populaire et la tradition orale dans l’Égypte de l’après Moubarak. Entretien réalisé à Avignon, le 22 juillet 2014, par Najla Nakhlé-Cerruti.

Hassan El-Geretly, photo Tamer Eissa

Hassan El-Geretly, photo Tamer Eissa

Hassan El-Geretly, qui êtes-vous ?

Je suis un artiste, intégré dans le monde de l’art au sens large du terme. Je n’aime pas uniquement me définir comme un homme de théâtre. Je ressens souvent plus d’affinités, de liens de solidarité, avec des artistes d’autres domaines, issus d’univers et de contextes très différents. J’aime le travail collectif en accord avec les spécificités de chacun et les différentes responsabilités, mais d’une certaine façon, partagées. Le résultat finit donc par nous représenter tous. Au théâtre, il est difficile d’attribuer une découverte, une idée, ou une image à quelqu’un en particulier, car tout évolue, tout change. Je me considère comme un artiste. C’est un bien grand mot.
À l’âge de neuf ans, j’ai su que je voulais m’engager dans la voie artistique. Je n’ai jamais abandonné. J’ai fait des études théâtrales à l’université de Bristol. Grâce à mes professeurs, j’ai pu établir des contacts en France. J’ai suivi des stages puis j’ai été engagé comme assistant de mise en scène dans un petit centre dramatique dans le Limousin.

Les intervenants sur scène sont très différents, par leur âge et leurs compétences notamment (musiciens, chanteurs, conteurs, comédiens), comment les choisissez-vous ?

Ils sont très différents mais sont tous des comédiens qui aspirent à faire de leur vocation un métier, dans une Égypte où le statut de l’artiste n’existe pas. Ce sont des gens que j’ai découvert. Je suis ce que les Anglais appellent un talent scout, je trouve des gens. Au début surtout, j’explorais, sans but précis. Je ne cherchais à engager personne, mais j’observais le paysage régional artistique alternatif. Ce n’est bien plus tard que j’ai commencé à recruter des talents.

Quel est le statut du personnage dans Haeeshik ? Proposez-vous une nouvelle forme de personnage ?

Beaucoup de récits composent Les Oiseaux du Fayyum (NDLA : Le soir de la première, le 14 juillet 2014, Hassan El-Geretly ouvre la représentation en annonçant ce changement de titre). Ce sont des histoires vécues, des fables, des nouvelles. Le registre de la pièce oscille entre l’art de raconter et celui de jouer, qui se manifeste à des degrés différents dans la construction des personnages.

Haeesheek, sur scène à Avignon, 2014 (photo Christophe Raynaud de Lage, Festival d’Avignon)

Haeeshek, sur scène à Avignon, 2014 (photo Christophe Raynaud de Lage, Festival d’Avignon)

Le comédien incarne plusieurs personnages et le spectateur assiste à leur multiplication. Cela construit-il une fonction particulière du personnage ? Un nouveau statut ? Cherchez-vous à questionner le personnage de théâtre ?

Ce qui a été présenté au Festival, à part Zawāya (« Angles », cinq témoignages des « 18 jours » de 2011 recueillis par l’écrivain Shady Atef), est d’abord un travail sur le chant et le conte. Je travaille très longtemps avec les comédiens, beaucoup et souvent, jusqu’à retrouver ce moment d’illumination qui m’avait décidé de travailler avec un acteur en particulier. Ce moment est souvent obscurci par la suite, ce qui me fait me demander ce qui m’avait amené à travailler avec lui. C’est la base du travail. Il arrive souvent que les comédiens retrouvent leur accent d’origine, qu’ils effacent parce qu’ils parlent à quelqu’un comme moi, au Caire. Pour moi, le concept de personnage ne trouve pas sa source dans le théâtre mais dans les personnes mêmes : leur présence, leur disponibilité, et leur fragilité assumée.

Photo Benoît Benichou

Photo Benoît Benichou

Vous tenez une place particulière sur scène en vous adressant à la salle, en commentant, en expliquant, jouez-vous un rôle ?

Le premier soir, j’ai joué un rôle un peu docte, un peu universitaire, un peu trop. Mais il fallait travailler avec le public français qui écoute et ne répond pas, à la différence des publics égyptiens chez qui l’interaction est permanente. Au cours des représentations suivantes, j’essayais de ne dire que le minimum. Mon rôle n’est pas d’expliquer mais de contribuer à la fabrication du spectacle sur scène. En Égypte, il arrive que le cheminement de la soirée me suggère un élément de programme non préparé à l’avance. C’est lié au moment : le moment d’un pays, du sentiment dans la salle, du rythme du spectacle. Je suis dans l’instant. J’étais vraiment dans l’instant avec Ǧafrā (chanson populaire palestinienne jouée le 14 juillet 2014 en solidarité pour Gaza). Ici, à Avignon, c’était plus difficile à cause des surtitres. Je me suis rendu compte que mes interventions ralentissaient le rythme du spectacle que je devais tenir. Je les ai réduites au minimum.

Considérez-vous la musique comme un partenaire du processus de création, au sens brookien, c’est-à-dire « rattachée à l’idéologie de l’ensemble vivant et, dans l’esprit des formes traditionnelles, elle stimule le jeu, le rythme, le dialogue avec les comédiens » (Banu, p. 99) ?

Même dans le spectacle de théâtre nous faisons un travail sur la musique et le son. Je suis très sensible aux voix. Celle de Zayn Maḥmūd, grand maddâh (panégyriste) égyptien me transporte. Son fils, qui racontait la geste hilalienne (Sīrat Banī Hilāl, épopée de la tribu des Hilaliens, ou Banū Hilal), a la même voix que lui. La musique, ou d’autres partenaires, sont les moyens d’accéder à la poétique de l’œuvre, même pour raconter le quotidien. C’est pour cette raison que je n’accepte pas que l’on qualifie mon travail de « théâtre documentaire » en raison du choix des personnages, des témoignages. C’est un travail affectif même s’il est méthodique.

Dans ces conditions (personnage, rôle pédagogique entre théorie et pratique, comédiens et non comédiens, rapport oralité-litéralité), quel est le statut du texte ?

Ce travail, présenté au Festival d’Avignon, est en cours depuis 1992. Il s’attache à tester les différents champs de recherche qui nous intéressent, toujours dans la perspective de l’expérience du public. La formation de l’acteur passe par le rapport au public. C’est de là que sont nées ces Nuits qui sont très demandées du public égyptien et qui sont devenues une forme à part entière, un « petit genre ». Parfois, c’est en exposant le travail au public que les choses mûrissent.

D’où ma question du texte : l’exigence textuelle du genre théâtral n’a-t-elle pas fermé le champ des possibles de l’expression des dramaturges arabes ?

C’est pour cela que les œuvres de Tawfīq Al-Ḥakīm s’inscrivent dans un rapport plus hiérarchique à la langue, à l’instar de Saʿd Allah Wannūs que j’ai rencontré avant qu’il ne tombe malade. Il suivait nos travaux et semblait les apprécier pour ce travail sur le vernaculaire et l’oralité.

Vous partez de l’oral, d’une culture orale, pour consigner à l’écrit le texte qui n’est que support d’oralité, à l’inverse de Wannūs qui écrit une langue destinée à oralisée, être jouée.

Il s’est efforcé d’écrire dans une langue propice à l’oralité. Le texte ne tient pas la même place. Au cours de nos discussions, j’ai compris que ça l’intéressait. Il semble que cette troisième langue, même oralisée, reste une langue de texte. Sa force réside dans sa capacité d’adaptation aux différents dialectes en vue de l’oralité.

Vous, c’est le processus inverse. Il me semble qu’ici un travail est réalisé de l’oral vers l’écrit, contrairement aux précédentes tentatives, dans le sens de la littérature dialectale : écrire pour être lu, joué.

Oui, l’idée n’est pas d’essayer d’anoblir le dialecte, mais de combler le manque de richesse littéraire de l’oral, sous estimée à cause de la hiérarchie et du hiatus qui existe entre les différents registres de langue. La culture arabe est coupée entre la culture vernaculaire et celle de la langue savante. Voilà pourquoi j’apprécie le travail ethnologique de Futūḥ Aḥmad Farag de collecte d’histoires populaires publié dans les années soixante-dix. Son génie est de ne pas avoir changé un mot ou corrigé ce qui semble être des fautes de langage, des confusions. Les acteurs me disent parfois : « C’est une erreur, le paysan n’a pas pu dire ça comme ça ». Je réponds : « Nous allons travailler des semaines et des mois. Si à la fin nous nous rendons compte qu’il n’est pas possible de faire passer le message, nous changerons ». Mais, finalement, nous ne changeons jamais rien car les fautes de langue ne sont généralement pas le fruit du hasard. Elles tiennent de la logique interne de la langue, de la culture, de son contexte, du locuteur…

Quelle place tient l’improvisation dans la représentation ?

Nous sommes dans un processus d’improvisation permanent. Je ne fais pas d’improvisation structurée. Le travail sur la mise en scène, par exemple, est le fruit de cette improvisation. Quant à l’acteur, je ne cherche jamais à le pousser vers quelque chose de spécifique. Je lui propose une direction, une orientation. Je vois où il en est et je l’accompagne. C’est pour cette raison que j’aime le terme muǧāwara (voisinage, proximité) pour désigner notre travail. Nous passons énormément de temps ensemble, quelque chose sort, mais qui a fait quoi ? Quand ? Lors de la représentation, les comédiens jouent des personnages qu’ils avaient rencontrés ou imaginés à partir de la réalité, ou ils jouent et racontent leurs personnages à partir de leur statut particulier d’acteur-récitant. Mais aucun, j’espère, n’a joué à être un conteur. Ils jouent à des degrés différents les personnages qu’ils racontent. Le conte connaît en Occident un regain d’intérêt, avec une certaine forme de nostalgie. Moi, je ne suis nostalgique que de ce qui va advenir.

Comment définissez-vous Les Oiseaux du Fayyum ? Peut-on parler de théâtre ? Quelle est votre définition du théâtre ?

Avec Les Oiseaux du Fayyum, nous réfléchissons aux causes de la mise à l’écart de tout un pan de la culture égyptienne. La question qui nous anime est de savoir pourquoi, dans un pays si riche de traditions et des arts de la représentation, aucune place n’a été faite à l’héritage populaire. Ni la dramaturgie égyptienne ni les méthodes utilisées dans la formation des acteurs n’ont pris en compte les pratiques présentes bien avant l’arrivée du théâtre français avec Bonaparte et ensuite les syro-libanais. Notre travail explore l’ancrage local, voire l’exotisme et l’esprit, les langages, les formes qui en sont le produit. Je n’ai pas de conclusion à apporter sur le plan théorique. Je pense qu’un grand travail reste à faire sur ce que voulaient dire nos prédécesseurs qui nourrissent nos créations, que ce soit Tawfīq Al-Ḥakīm, Saʿd Allah Wannūs et bien d’autres. Je suis fasciné par ce que véhicule cette culture égyptienne populaire depuis les chants d’amour pharaoniques aux slogans de la place Tahrir. Je suis étonné que le théâtre ne s’en empare pas plus. La révolution a rendu au pays sa normalité dans le chaos et par la liberté d’expression. C’est une révolution par l’art dans un pays où les gens considèrent encore que la communication est la valeur suprême. Et l’expression artistique première, la pratique artistique première en Égypte, c’est la parole.

Extraits du spectacle

Références


Pour citer ce billet : Najla Nakhlé-Cerruti, « L’art de raconter et l’art de jouer, entretien avec Hassan El-Geretly, artiste et homme de théâtre égyptien », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), 14 octobre  2014. [En ligne] http://ifpo.hypotheses.org/6213


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Najla Nakhlé-Cerruti est agrégée d’arabe et doctorante à l’INALCO (Institut National des Langues et des Civilisations Orientales) sous la direction de Luc Deheuvels, et boursière AMI à l’Ifpo-Territoires palestiniens. Sa thèse en préparation porte sur le théâtre palestinien contemporain, et particulièrement les représentations de l’identité.

Page web : http://www.ifporient.org/najla-nakhle-cerruti

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Les soulèvements arabes, l’économie et le politique

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Des premières revendications tunisiennes de 2011 aux protestations égyptiennes de 2013, la thématique de la crise économique et sociale se conjugue très intimement aux demandes de libertés publiques et politiques dans les « soulèvements arabes ». Bien que la région ne figure pas parmi les plus pauvres au monde, ces mobilisations rendent non seulement audible la crise de légitimité de régimes vieillissants mais aussi plus visibles le climat d’insécurité sociale et la vulnérabilité économique qui caractérise le quotidien de très nombreux habitants de la région. La crise économique de 2008, en particulier, semble avoir encore dégradé les conditions de vie des citoyens, mais aussi celles des travailleurs immigrés et des populations réfugiées.

En apparence, ces protestations signent l’exacerbation d’une « question sociale » voire d’une « crise économique » nettement plus importante que lors des renversements, dans les années 1970, de régimes d'Europe du Sud et d'Amérique latine, ou dans les années 1990 en Europe centrale et orientale ou en Afrique sub-saharienne. En plus de la référence à la révolution française de 1789, plusieurs analystes convoquent d’ailleurs volontiers en 2011 la référence au « Printemps des peuples » de 1848-1849, en soulignant la part que purent y jouer dans les deux cas les crises agricoles et alimentaires ou industrielles et la façon dont la « question sociale » s’y politisa.

Une manifestation à Mahalla, en Egypte, le 7 avril 2008.  La veille,  un mouvement de grève avait été endigué par les forces gouvernementales provoquant ensuite ces soulèvements. - James Buck / PBS. Licence : CC By-SA 3.0

Une manifestation à Mahalla, en Egypte, le 7 avril 2008. La veille, un mouvement de grève avait été endigué par les forces gouvernementales provoquant ensuite ces soulèvements. - James Buck / PBS. Licence : CC By-SA 3.0

Trois ans après, ces sociétés continuent d’être le théâtre de conflits majeurs, en termes d’exercice du pouvoir, mais aussi en termes économiques et sociaux (mouvements ouvriers, grèves de salariés ou de fonctionnaires, mécontentements suscités par la cherté de la vie ou par les dégradations des services publics, etc.). Les « débordements du social » et les « impasses de l’économie », qui s’exprimaient de diverses façons bien avant 2011, semblent plus que jamais d’actualité, tant comme défis pour les pouvoirs publics que comme ressort de mécontentements feutrés, de stratégies d’exit comme de passage à la révolte, ou de résistances plus discrètes. Malgré l’aubaine suscitée dans certains pays par la hausse des prix du pétrole, les revendications de ce type s’accentuent, tandis que les nouveaux gouvernements n’apportent guère d’alternative, à court terme du moins, en matière de politiques de développement.

Si la thématique de la crise économique et sociale traverse ces mouvements récents, l’articulation entre les réalités socio-économiques et les causes et formes de la protestation est loin d’être univoque. À chaud, aux analyses économicistes, envisageant les évènements de 2011 comme l’expression d’une crise du capitalisme, ont répondu d’autres travaux réfutant au contraire toute forme de déterminisme, en concentrant leur attention sur les logiques internes de ces mouvements et les trajectoires de leurs acteurs. C’est en réaction à cela que s’est construite la réflexion proposée dans le cadre d’un colloque organisé à Beyrouth les 25 et 26 septembre 2014 par l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) en coopération avec le Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris et le Middle East Institute (National University of Singapore). L’événement a reçu le soutien du Fonds d’Alembert (IF) et du programme du Conseil européen de recherche « When Authoritarianism Fails in the Arab World » (WAFAW).

Un colloque exploratoire

Aux côtés de chercheurs en sciences humaines et sociales, le colloque a réuni l’ambassadeur de France Patrice Paoli, des représentants de la société civile et de syndicats libanais, ainsi que des journalistes et des diplomates. L’objectif principal de cette rencontre était d’établir une plate-forme d’échange à partir de recherches récentes. Il s’agissait de comparer les interactions entre l’économique et le politique en considérant les contestations et résistances multiples en ce qu’elles sont imbriquées dans des ordres politiques et économiques. C’est pourquoi l’accent était mis sur les apports possibles de l’approche néo-institutionnelle : comment sont mises en cause dans les protestations des formes multiples de dépendance, de protection ou d’échanges ? Comment lire et comprendre le rôle souvent feutré ou plus manifeste de groupes d’intérêts, de groupements professionnels et syndicaux dans les changements de régime ? Quels pactes ou contrats sociaux se dessinent, se réinventent ou au contraire se confirment ? Comment et où émergent de nouveaux porte-parole, de nouvelles questions « sociales », de nouveaux clivages politiques et économiques ? Qui porte la voix des déshérités ? En quoi ces mouvements sociaux contribuent-ils à ouvrir de nouvelles formes d’économies, de circulation, d’enrichissements ?

Le panel interdisciplinaire et international comprenait des économistes, des historiens, des sociologues et des politistes. La perspective comparative dépassait les frontières du Proche-Orient, grâce à la contribution notable de Jérôme Sgard (Science Po/CERI), dont sont reconnus les travaux sur les réformes économiques en Europe de l’Est et les crises financières dans les économies émergentes.

Comment se transforment les institutions ?

Dans son propos introductif sur les interactions entre changements de régime et processus économiques, et notamment sur les effets de « dépendance au sentier » (path dependancy), Eberhard Kienle (Ifpo) a invité les participants à dépasser certaines interprétations conventionnelles des bouleversements que connaît la région, qui envisagent la « crise » économique comme principal catalyseur des contestations. En particulier les logiques de rente (qui mettent l’accent sur les usages politique revenus perçus sur un marché extérieur) ou de crony capitalism (« capitalisme des copains » qui supposent des formes stabilisées d’échanges et d’interdépendances) – pour reprendre des catégories classiquement mobilisées par l’économie politique des sociétés du Proche-Orient – se révèlent peu utiles pour comprendre le changement social. Ainsi, les monarchies du Golfe ont vu non seulement un changement de politique sociale (expansion des services sociaux pour promouvoir l’emploi de nationaux dans le secteur privé), mais aussi l’émergence d’organisations syndicales au cours de ces dernières années face à la crise du modèle de régulation sociale par l’emploi public. Pour Laurence Louer (Science po/CERI), s'intéresser aux systèmes de « Providence » des pays du Golfe, au-delà du caractère « rentier » de leur économie, permet de comprendre l’enjeu du devenir de leur régime de répartition dans le processus de privatisation de l’emploi et de salarisation de la société qu’ils connaissent. Plusieurs des intervenants insistent sur les limites du paradigme « rentier » (avec la dépolitisation des questions sociales qu’il suppose) pour comprendre nombre de dynamiques actuelles. Fawwaz Traboulsi (American University of Beirut) préconise une approche qui réintègre dans l’analyse de la compréhension des mobilisations (ou de l’absence de protestation) des dimensions idéologiques et géopolitiques souvent contradictoires : les soulèvements à ses yeux ont été pour une grande partie des réactions à des politiques sociales néolibérales ; un point de vue discuté lors de cette table ronde.

Pour renouveler méthodologiquement et théoriquement l’étude des dynamiques économiques au Proche-Orient, le retour au terrain ou aux archives s’avère fécond. Plusieurs contributions ont ainsi mis l’accent sur l’émergence, certes timide mais intrigante, d’institutions dans les mondes du travail qui défient les organisations syndicales installées. Outre le cas traité par L. Louer dans les monarchies du Golfe, un bel exemple est le Comité de coordination syndicale au Liban, qui se présente comme une alternative aux syndicats en place face à la sectorisation de leurs demandes et leurs crises de leadership (Marie-Noëlle Abi Yaghi, Lebanon Support). Par contre, dans la région minière de Gafsa en Tunisie, d’anciennes doléances socio-économiques, en tête desquelles le droit à l’emploi, prennent de l’ampleur après la révolution. Si l’Union générale des travailleurs tunisiens fut associée au renversement du régime, sur ce terrain minier dont on se souvient du rôle avant-gardiste que joua le mouvement de 2008, le mouvement syndical est dépassé par des formes inédites de prises de paroles. Il faut alors s’interroger sur les transactions politiques qui se jouent autour de la question de l’emploi (Amin Allal, CNRS/CERAPS).

La résilience des régimes en place dépend notamment de la façon dont ils réagissent aux troubles sociaux. Des revendications matérielles ne sont pas simplement un facteur déstabilisant mais peuvent devenir un instrument régulateur potentiel pour les autorités afin de contrôler l’agitation sociale ; hypothèse que développe Montserrat Emperador Badimon (Université Lumière – Lyon 2) dans sa recherche sur le « Mouvement des diplômés chômeurs » et la protestation des mineurs de phosphates à Khouribga (Maroc). De même, une institution telle que celle du patronage, généralement considérée comme un frein au changement social, peut également contribuer à l’escalade d’un conflit, comme le montre au Liban Michele Scala (Aix-Marseille Université/IREMAM) au sujet d’un conflit salarial.

Replacer les changements de régimes dans leur histoire socio-économique

Alors que l’économie politique au Proche-Orient s’est surtout développée dans un dialogue entre politistes et économistes, ce colloque s’est enrichi de la contribution d’historiens, afin de creuser les pistes néo-institutionnelles de la « dépendance au sentier » : dans le cadre d’une réflexion sur les changements de régime, il s’agit de penser le poids des choix effectués dans le passé et des institutions au sens large du terme sur les décisions et trajectoires contemporaines.

La communautarisation des conflits actuels en Syrie et en Irak par exemple n’est pas un phénomène religieux en tant que tel mais peut s’expliquer par l’enchevêtrement de solidarités ethniques et de relations économiques depuis le 19e siècle : en effet, les interactions sont denses entre la formation d’États « modernes » et les mutations de « survival units » communautaires. Dans des situations de crise économique ou politique, quand la confiance dans l’institution étatique se dégrade, les individus se tournent volontiers vers les solidarités communautaires (Sami Zubaida, Birkbeck University). Les grandes transformations politiques des 19e et 20e siècles  – et notamment le règne d’Abdul Hamid II (1876-1909) –, l’établissement des mandats, puis les indépendances, ont profondément affecté les économies locales. Les structures socio-économiques antérieures ont néanmoins continué à jouer un rôle en matière d’échanges et de production. Peter Sluglett (Middle East Institute - National University of Singapore) évoque ainsi la nostalgie de la période ottomane des marchands d’Alep pour expliquer l’orientation anatolienne du commerce en Syrie du Nord au début 20e siècle. Cette piste est également explorée par Matthieu Rey (Middle East Institute - National University of Singapore), qui montre comment l’organisation corporatiste du champ politique syrien s’explique par la crise agraire des années cinquante et soixante, le mouvement paysan qui l’accompagna d’une part, la promotion de la jeunesse rurale par l’armée et la bureaucratie d’autre part. De la même manière, la stabilité de la monarchie hachémite ne peut s’expliquer par les seuls effets de rente (l’aide internationale aidant à l’achat de paix sociale). Tareq Tell (American University of Beirut) met en avant les effets des réformes agraires et le rôle de l’armée en Jordanie pour expliquer les logiques de la régulation des luttes sociales.

Repenser l’économie politique de la région ?

Les intervenants du colloque ont enfin évoqué la question des modifications et des continuités des politiques socio-économiques dans les changements de régime. Dans un contexte de transition d’un système autoritaire à un régime politique plus inclusif et démocratique (où le vote compte), les politiques sociales sont-elles plus égalitaires ? Le cas de la Tunisie montre que, du fait notamment de la crise financière, la révolution ne s’accompagne pas vraiment de transformations décisives des politiques économiques, vers un système plus redistributeur (Asya El-Meehy, ESCWA, University of California – Berkeley). Observant cela en Égypte, Eberhard Kienle (Ifpo) explique l’absence de réorientation majeure par le parallélisme social au sein des institutions (les différents régimes qui se succèdent recrutent leurs fonctionnaires au sein de la même classe sociale). En revanche, la guerre civile en Syrie entraîne des changements plus frappants : à la fois une hausse rapide du taux de pauvreté et la continuation, voire la progression, des investissements dans certaines régions (Jihad Yazigi, Syria Report, European Council on Foreign Relations).

Le colloque a ainsi permis d’explorer différentes pistes d’analyse, s’émancipant du modèle rentier et questionnant l’inscription de la région dans l’économie globalisée. Dans sa conclusion du colloque, Jérôme Sgard (Science po/CERI) suggère ainsi de prêter une attention particulière aux modes de production (et pas seulement aux logiques de rente) et de maintenir l’effort de réflexion sur des catégories fondamentales de l’économie, comme le travail et le salaire, la propriété et la dette.

Bibliographie

  • Heydemann S. (dir.), Networks of Privilege in the Middle East: The Politics of Economic Reform Revisited, Palgrave Press, 2004.
  • Kienle E. et Louer L. (dir.), L’économie politique des soulèvements arabes, numéro thématique de Critique internationale, 61, 2013/4. [En ligne] http://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2013-4.htm
  • Moisseron J. et Mouhoud E. (dir.), Dynamiques institutionnelles dans le monde arabe, numéro thématique de Revue Tiers Monde, 212, 2012/4. [En ligne] http://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2012-4.htm
  • Owen R. et Pamuk S., History of Middle Eastern Economies in the Twentieth Century, Harvard University Press, 1999.

Pour citer ce billet : Matthias Dalig et Myriam Catusse, « Les soulèvements arabes, l’économie et le politique », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), 15 décembre 2014. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/6268

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Matthias Dalig est étudiant en sciences politiques à l’Université de Freiburg et à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. Il est stagiaire au Département scientifique des études contemporaines à l’Ifpo.

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Myriam Catusse est politologue. Elle est directrice du Département scientifique des études contemporaines de l’Ifpo. Elle est core researcher du programme WAFAW (ERC) et du programme Power2Youth (7e PCRD). Elle est notamment l’auteur de Le Temps des entrepreneurs. Politique et transformations du capitalisme au Maroc, Paris, Maisonneuve & Larose, 2008 et, avec B. Destremau et E. Verdier (dir.), de L’État face aux débordements du social. Formation, travail et protection sociale, Paris, Iremam-Karthala, 2010.

Page personnelle et bibliographie : http://ifporient.org/myriam-catusse

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Islam, islamisme, fondamentalisme…Qui nomme ? les journalistes, les chercheurs ou les acteurs ?

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C’est dans le cadre d’une thèse de doctorat (Duarte 2014) sur le réformisme musulman contemporain, que s’est posée à nous la question difficile de la terminologie appliquée aux auteurs réformistes musulmans depuis les indépendances, et plus généralement, aux qualificatifs employés à l’endroit des acteurs de l’islam contemporain. Nous tenterons ici d’en rendre compte et d’apporter une esquisse typologique raisonnée facilitant la compréhension des phénomènes qu’ils tentent de recouvrir.

Le brouillage terminologique médiatique

La profusion des discours autour du « phénomène-islam », par les différents types de médias, n’encourage guère ni les précautions méthodologiques ni la distinction des niveaux d’analyse. Cette situation, que l’on ne retrouve pas à l’identique pour d’autres religions, obscurcit l’objet en question plus qu’elle ne clarifie des phénomènes pourtant déjà difficiles à saisir. En effet, considérer comme des quasi-synonymes des qualificatifs tels qu’islamisme, fondamentalisme, intégrisme, extrémisme, traditionalisme, radicalisme, terrorisme, ne peut que brouiller une piste déjà fort complexe, a fortiori pour le non-initié. Il suffit pour s’en convaincre de se plonger durant une seule journée dans les bulletins d’informations internationaux, qu’ils soient sous format papier, audiovisuel ou électronique, rendant quasiment impossible la tâche de trouver une cohérence à chacun de ces termes. Cette constatation fut le point de départ de notre réflexion.

En revanche, ces éléments se compliquent lorsque les acteurs eux-mêmes et leurs contradicteurs se réapproprient une part de cette terminologie, à titre d’exemple, le mot « islamiste » (islāmī) est désormais et depuis bien longtemps usité couramment dans le monde arabe – et plus généralement dans le monde musulman – par l’ensemble des mouvements qui font une lecture politique de l’islam et qui aspirent, selon des modalités diverses et variées, à participer au pouvoir. Les observateurs de ces mouvements reprennent cette même terminologie, pour les écrits francophones il suffirait de citer – de manière non exhaustive – François Burgat (1988, 2010), Gilles Kepel (2000), Olivier Roy (2008 et 2011), Nilüfer Göle (2003 et 2005) et d’autres. Il ne s’agit bien sûr pas de remettre en cause la légitimité scientifique de ces travaux mais plutôt d’interroger un fait paraissant somme toute « naturel » de par son extrême récurrence mais qui pose question, ne cessant de nous interpeller durant la rédaction de notre travail de recherche. En ce domaine, le discours médiatique tend à prédominer sur le discours scientifique. En effet, si ce dernier transmet  et impose un certain cadre conceptuel au premier (« déconstruction », « héritiers », « travail/capital », etc.), l’inverse semble désormais relever de la norme.

« Islamisme » ou quid de l’analyse comparative ?

Un autre élément conforte notre perplexité à accepter telles quelles les terminologies courantes sur l’islam contemporain, rendant difficile, sinon impossible les analyses comparatives avec les phénomènes ayant trait à d’autres religions. Pour reprendre notre illustration précédente, le substantif « islamisme » serait à l’islam ce que le fondamentalisme et l’intégrisme seraient au christianisme ou ce que l’ultra-orthodoxie serait au judaïsme. Quand bien même chaque champ religieux peut se targuer de spécificités, il n’en reste pas moins que l’on devrait pouvoir les analyser avec une terminologie relativement unifiée, ce qui n’est – nous semble-t-il – pas encore le cas dans les études islamiques.

Ce constat critique n’a rien d’innovant en soi : en son temps, l’éminent arabisant Maxime Rodinson établit une remarque similaire, relevant que cette appellation d’islamisme « […] offre un danger de confusion avec la dénomination de la religion en elle-même » (Rodinson 2003, p. 20) ; en effet, là encore, pour analyser les mouvements contestataires chrétiens, les spécialistes les qualifient-ils de « christianistes » ? ou encore de « judaïstes » en ce qui concerne le judaïsme ? La réponse est évidemment non.

Plus récemment, Mohammed Hocine Benkheira relevait également que cette appellation « […] place [ces acteurs de l’islam politique] en position de représentants légitimes du mot “islâm” » (Benkheira 1997, p. 10), enfin, plus généralement, Nadine Picaudou estime que cette question épineuse des reformulations modernes de l’islam « apparaît comme un préalable indispensable […] » et que les vulgates réductrices prévalent à la fois « tant dans les discours occidentaux sur l’islam que dans ceux des acteurs de l’islam politique » (Picaudou 2010, p. 16-17).

Les remarques précédentes nous conduisent à proposer une terminologie de travail plus adéquate et capable de rendre compte de phénomènes comparables dans les trois religions susmentionnées. Tout d’abord, nous rejetons le substantif « islamisme » en préférant parler de phénomène de « politisation du religieux », voire « d’islam politique » et qui concerne des mouvements à tendance souvent conservatrice, reproducteurs de l’ordre établi. À l’endroit de mouvements plus contestataires, nous proposons de les désigner comme tel : « mouvements (islamiques) contestataires » et pour une infime minorité d’entre eux « mouvements (islamiques) révolutionnaires ». Quant à son dérivé « islamiste(s) », qualifiant des acteurs et des mouvements n’ayant souvent quasiment aucun rapport entre eux, nous proposons « militants de l’islam politique » ou « militants contestataires », ou encore pour la minorité légitimant le renversement de l’ordre établi (de manière plus ou moins violente) « militants révolutionnaires ».

Ce qui est souligné la plupart du temps par « islamisme » étant une caractéristique particulière, telle que le conservatisme religieux, la contestation politique, l’aspiration au pouvoir ou bien la volonté de renverser l’ordre établi, ou plus globalement l’« idéologisation du religieux » (voir Nadine Picaudou). Ces caractéristiques ne sont toutefois pas interchangeables. Par conséquent, employer « islamisme » obscurcit l’étude des phénomènes en question. Il nous paraît donc préférable de qualifier tel mouvement/acteur en fonction de(s) caractéristique(s) visée(s). En effet, réunir tous ces modes d’inscription dans le réel sous un seul vocable globalisant tend selon nous à réifier des phénomènes explicables par les sciences sociales. La réification ou l’essentialisation constituent l’antithèse d’une explication de type scientifique.

Le fondamentalisme et ses caractéristiques distinctives

Un autre substantif revient souvent, en apparence plus pertinent pour analyser le rapport d’un groupe et/ou d’un individu avec ce qu’il sacralise : le « fondamentalisme » — dans le cas de notre recherche, il s’agissait plutôt de la sacralisation des « Textes fondateurs » (Coran et sunna pour l’islam sunnite). Tout aussi ardu à circonscrire qu’« islamisme » et tout autant galvaudé, la posture qu’il implique se retrouve de surcroît chez des auteurs classiques aussi différents qu’Ibn Ḥazm (m. 1064) ou Ibn Taymiyya (m. 1328), mais également au sein de courants aussi concurrents que les Frères musulmans ou le néo-salafisme saoudien, ou encore même dans l’œuvre de réformistes musulmans contemporains tels que Ğamāl al-Bannā ou Muḥammad Šaḥrūr. Cette récurrence des usages historiques et contemporains peut expliquer – sans la légitimer – la confusion médiatique quant à la terminologie à employer, soulignant l’urgence du métier à engager un questionnement réflexif et critique sur ce qui pourrait apparaître de surcroît comme superficiel : la terminologie.

La recherche universitaire, avec sa modalité de temps long et sa propension à se plonger dans les écrits des acteurs en question, permet de dépasser les prénotions englobantes et de proposer des notions et des concepts opératoires. À titre d’illustration de cette démarche critique et réflexive, citons les caractéristiques que nous avons pu établir quant à ce que pourrait recouvrir la notion de « fondamentalisme » appliqué au champ religieux de l’islam et au-delà, dans une démarche comparatiste, au judaïsme et au christianisme :

  • une relation d’« absolutisation » vis-à-vis de l’écrit et/ou des textes fondateurs ;
  • la visibilité de l’adhésion religieuse, publique et non privée ;
  • la solidarité de groupe, régénérée pour devenir effective ;
  • la non-ambiguïté, ne laissant aucune place à l’incertitude : l’uniformisation règne, l’entre-deux est systématiquement combattu.

Ces traits ne nous dispensent pas d’une étude socio-historique ou anthropologique, et ne prétendent pas gommer la distance temporelle et les différences de contextes d’énonciation entre un auteur du 13e siècle et un contemporain. Ils mettent simplement l’accent sur un type de rapport à l’absolu, qui, lui, se retrouve bien tant dans les périodes anciennes qu’actuelles ; en se gardant bien de n’y voir qu’une simple répétition, étant entendu que l’histoire humaine ne se répète pas.

Conclusion

Nous n’avons pas abordé dans notre thèse de doctorat l’étude de termes tels que « radicalisme », « terrorisme », « extrémisme », car nous avons considéré qu’ils ne convenaient pas à un travail de recherche universitaire de par la charge émotionnelle qu’ils véhiculent et le jugement de valeur qu’ils véhiculent. Il en eût été tout autrement de termes tels que « conservatisme », « traditionalisme » et « libéralisme » qui feront l’objet d’une publication prochaine.

Il paraît salutaire pour les sciences humaines et sociales que les qualificatifs employés pour décrire des phénomènes, des mécanismes et des positionnements soient mûrement et constamment éprouvés afin qu’ils ne soient pas prisonniers des catégories médiatiques dominantes pas plus que de l’autoréférencialité, i.e. la définition que les acteurs utilisent eux-mêmes pour se définir. D’aucuns y verraient peut-être la promotion d’une neutralité scientifique sans concession, il s’agit plus simplement à nos yeux, et pour pasticher la célèbre citation attribuée à Albert Camus, de ne pas « ajouter au malheur des études islamiques en mal nommant les choses ».

Bibliographie

  • Benkheira MH. et Becker A., 1997, L’amour de la loi. Essai sur la normativité en islam, Paris, PUF (Politique d’aujourd’hui).
  • Burgat F., 1988, L’islamisme au Maghreb. La voix du Sud, Karthala (Les Afriques).
  • Burgat F., 2012, L’islamisme à l’heure d’al-Qaida, Paris, La Découverte.
  • Duarte S., 2014, L’idée de réforme religieuse en islam depuis les indépendances, Paris, EPHE (thèse de doctorat).
  • Göle N., 2003, Musulmanes et modernes. Voile et civilisation en Turquie, Paris, La Découverte (Sciences humaines et sociales) [1re éd. 1993].
  • Göle N., 2005, Interpénétration. L’Islam et l’Europe, Gallade Éditions.
  • Kepel G., 2000, Jihâd, expansion et déclin de l’islamisme, Paris, Gallimard.
  • Picaudou N., 2010, L’islam entre religion et idéologie : essai sur la modernité musulmane, Gallimard (NRF Essais).
  • Rodinson M., 2003, La fascination de l’islam, Paris, La Découverte/Poche (Sciences humaines et sociales).
  • Roy O., 2008, La sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture, Paris, Éditions du Seuil (La couleur des idées).
  • Roy O., 2011, Généalogie de l’islamisme, Paris, Fayard (Pluriel).

Pour citer ce billet : Steven Duarte, « Islam, islamisme, fondamentalisme…Qui nomme ? les journalistes, les chercheurs ou les acteurs ? », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), 27 décembre 2014. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/6297

Photo_duarte-web

Steven Duarte est agrégé d’arabe et docteur ès études arabes et islamiques (EPHE). Il enseigne la langue arabe et les réformismes de l’islam contemporain à l’Université Paris 13. Sa thèse portait sur une sélection de dix penseurs réformistes musulmans dont la production s’étend de la moitié du 20e siècle à nos jours.

Son travail de recherche vise à rendre compte et à analyser progressivement la riche production réformiste à l’échelle du monde musulman sunnite puis à la mettre en rapport avec des questions contemporaines majeures : modernités multiples, altérités culturelles, conflits, évolutions de la religiosité.

Arab uprisings, Politics and Economy

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Translation from the French version : «Les soulèvements arabes, l’économie et le politique» http://ifpo.hypotheses.org/6268

From the first public outcries in Tunisia in 2011 to Egypt’s mass protest in 2013, the issue of the social and economic crisis was closely connected to the demands of political freedom during the “Arab revolutions”. Even though the region is not among the world’s poorest, these mobilisations demonstrated not only a legitimacy crisis of the aging regimes but also a climate of social insecurity and economic vulnerability that characterises the daily lives of many people in the region. Especially the economic crises of 2008 seem to have further deteriorated the living conditions of these countries’ citizens, migrant workers and large refugee populations.

On the surface these protests appear to be much more indicative of the “social issues” or even an “economic crisis” than the regime changes in Southern Europe and Latin America during the seventies or those in Central Europe and Sub-saharan Africa during the nineties. The comparison with the French revolution of 1789 as well as with the “Spring of Nations” in 1848-1849 that was frequently made in 2011 underlines the role that agrarian or industrial crises can play and the way that social issues are politicised.

A demonstration in Mahalla, Egypt on 7 April 2008, the day after a strike was shut down by government forces sparking a series of uprisings. - James Buck / PBS. Licence : CC By-SA 3.0

A demonstration in Mahalla, Egypt on 7 April 2008, the day after a strike was shut down by government forces sparking a series of uprisings. - James Buck / PBS. Licence : CC By-SA 3.0

After three years, these societies continue to be the scene of major conflicts concerning the exercise of political power but also social and economic issues: labour movements, strikes of employees and public servants, grievances about high living costs and about the declining quality of public services, to only name a few. The “social upheaval” and the “economic dead end” that could be noticed in different forms long before 2011 seem to be more topical than ever. They represent as much a challenge for public authorities as they can be a driving force for stifled resentment. Even though certain countries profited from high oil prices, popular demands of this type grow stronger, whereas the new governments are at least in the short term hardly able to offer alternatives regarding development policy.

While the topic of a social and economic crisis pervades those recent movements, the articulation between the socio-economic realities of those societies and the motifs and forms of dissent and protest is far from being univocal. In response to purely economic analyses that see the upheavals of 2011 as the expression of a crisis of capitalism, other works reject any kind of determinism. They rather concentrate on the internal functionality of social movements and the trajectories of their protagonists. Picking up on this debate the Institut français du Proche-Orient (Ifpo) in cooperation with the Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris organised a two-day conference in Beirut. Held on 25 and 26 September 2014 at the Institut français du Liban, the event was supported by the Fonds d’Alembert, the Middle East Institute of the National University of Singapore and the ERC research program “When Authoritarianism Fails in the Arab World” (WAFAW, http://www.ifporient.org/node/1550 ).

An exploratory conference

In addition to bringing together experts in the field of social sciences, the conference was attended by the Ambassador of France Patrice Paoli, representatives of the civil society and the Lebanese labour movement, as well as journalists and diplomats. The primary objective of the meeting was to provide a platform for an exchange of ideas based on the latest research. The participants compared and analysed the interactions between politics and economics, taking into consideration the different forms of resistance that are nested in the political and economic order. For this reason, the reflection was focused on the possible contributions of a neo-institutionalist approach: In which way do the protests challenge the different forms of dependence, protection and exchange? How should we understand the sometimes overt, sometimes discreet role of interest groups, business associations and trade unions in regime changes? What kind of alliances and social contracts emerge or are reinvented? Or on the contrary: which contracts remain in place? Where do new protagonists, new social issues, new political and economic cleavages appear and how? In what respect do those new social movements contribute to new forms of economies, circulation and enrichment?

The interdisciplinary and international panel consisted of economists, historians, sociologists and political scientists. The comparative perspective transcended the Middle East thanks to the participation of Jérôme Sgard (Science po/CERI), whose work on economic reform in Eastern Europe and financial crises in emerging economies has gained international reputation.

How do institutions transform?

In his introductory remarks about the interaction between regime change and economic processes, in particular regarding the effects of path dependency, Eberhard Kienle (Ifpo) invited the participants to go beyond certain conventional interpretations of the region’s upheaval, that consider the economic “crisis” as the principal catalyst for the protests. Especially the models of the rentier state (focusing on the political use of revenue acquired on foreign markets)  and crony capitalism (presuming stable forms of exchange and interdependence) - to cite only two categories that are typically adopted in the field of Middle Eastern political economy - turned out to be hardly useful when it comes to understanding social changes. For instance, the Gulf monarchies have not only seen a shift in their social policies (expansion of social protection to promote private sector employment of nationals) but also the emergence of labour organisations in recent years as the system of social regulations through public employment is in crisis. For Laurence Louer (Sciences Po/CERI), an investigation of the Gulf States’ welfare systems that goes beyond the “rentier” character of their economies facilitates understanding the formation of their manner of redistribution through the privatisation of employment. Several participants insisted on the limits of the rentier state paradigm (as well as an assumed consequent depoliticisation of social issues) when it comes to explaining the numerous current dynamics. Fawwaz Traboulsi (American University of Beirut) argued for a holistic approach that incorporates the contradictory ideological and geopolitical ramifications into the analysis of mobilisation (or the absence of protest): for him the uprisings were  to a large extent a reaction to neoliberal social policies - a point of view that was debated during this round table.

To hence achieve a necessary renewal of the study of economic dynamics in the Middle East, field research can re-orientate methodology. Several contributions have thus focused on the diffident but intriguing emergence of labour movements that challenge the established trade unions. Other than the case discussed by Laurence Louer, the Comité de coordination syndicale in Lebanon is a good example. It presents itself as an alternative to the ineffective established trade unions with an emphasis on internal democracy, suffering however from a sectionalisation of its demands and leadership problems (Marie-Noëlle Abi Yaghi, Lebanon Support). In the southern regions of Tunisia around Gafsa on the other hand, the expression of social grievances (most importantly the right to employment) has increased since the revolution. Even though the General Union of Tunisian Workers was associated with the regime’s ousting, the labour movement is surpassed by new forms of protest in this mining region, where the memory of the avant-garde role of the protest movement of 2008 is still strong. This raises questions about political transaction related to employment (Amin Allal, CNRS/CERAPS).

The resilience of the regimes in place depends not least on how they react to civil unrest. Social movements targeting material goals may not simply be a destabilising factor, but a potential regulatory instrument for authorities to control social agitation; a hypothesis developed by Montserrat Emperador Badimon (Université Lumière – Lyon 2) in her research on the “Mouvement des diplomés-chomeurs” and the phosphate miners of Khouribga (Morocco). An established institution such as patronage, widely considered an obstruction to social change, can on the other hand also escalate conflict as shown by Michele Scala (Aix-Marseille Université/IREMAM) using the example of a wage conflict.

Putting historical regime changes in a socio-economic perspective

While political economy was mostly developed through a dialog between economists and political scientists, this conference was enriched by the contributions of historians, to explore the idea of “path dependency”: in the context of regime changes, one must consider the impact of past decisions and institutions in a broader sense on contemporary decisions and trajectories.

The current communitarisation in Syria and Iraq for instance is not only a religious phenomenon but can be explained by the interrelations of ethnic solidarity and economic relations since the 19th century: the interactions between the formation of  “modern” states and the alterations of communitarian “survival units” are manifold. During economic or political crises when confidence in state institutions deteriorates individuals will turn to the communitarian solidarity for support (Sami Zubaida, Birkbeck University). The great political transformations in the late 19th and early 20th century, such as the reign of Abdul Hamid II, the establishment of the mandates and independence have deeply affected the local economies. However, pre-existing economic structures have continued to play a role in matters of exchange and production. Peter Sluglett (Middle East Institute - National University of Singapore) cites as an example merchants from Aleppo, whose nostalgia for the Ottoman Empire he explains with their commercial orientation towards Anatolia. This interaction was further explored by Matthieu Rey (Middle East Institute - National University of Singapore), who focused on how the agrarian crises in the fifties and sixties, the peasant movement as well as the rise of the rural youth in the military and bureaucracy shaped the political landscape of Syria. In the same sense, historical phenomena like the exceptional stability of the Hashemite monarchy cannot only be explained through theories of rent-driven state formation (e.g. international aid that helps to “buy” social peace). Tareq Tell  (American University of Beirut) highlighted institutional factors like the land reforms, the role of the military or social struggles.

Rethinking Middle Eastern political economy?

The conference also raised the question of continuity in social policy across the thresholds of regime changes. Does the transition from an authoritarian system of governance to a more inclusive and democratic one lead to more egalitarian social policies? The example of Tunisia shows that - due to the financial crisis among other things - the revolution did not result in a transformation of the economic policies towards a more redistributive system (Asya El-Meehy, ESCWA, University of California – Berkeley). After having made a similar observation, Eberhard Kienle (Ifpo) explained the absence of major changes in economic policy through the similarities within the institutions  (successive regimes recruited their leadership from the same social classes). The civil war in Syria on the other hand has led to more diverse effects, creating both rapid overall increase of the poverty rate and the continuation or even growth of investment in certain regions (Jihad Yazigi, Syria Report, European Council on Foreign Relations).

The conference has allowed to explore different lines of inquiry, breaking free from the rentier economy paradigm and probing the region’s implication in a globalised economy. In his final remarks, Jérôme Sgard (Science po/CERI) suggested paying particular attention to the modes of production and continuing reflection on the fundamental categories of economics such as labour and wage, property and debt.

Bibliography

  • Heydemann S. (dir.), Networks of Privilege in the Middle East: The Politics of Economic Reform Revisited, Palgrave Press, 2004.
  • Kienle E. et Louer L. (dir.), L’économie politique des soulèvements arabes, numéro thématique de Critique internationale, 61, 2013/4. [En ligne] http://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2013-4.htm
  • Moisseron J. et Mouhoud E. (dir.), Dynamiques institutionnelles dans le monde arabe, numéro thématique de Revue Tiers Monde, 212, 2012/4. [En ligne] http://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2012-4.htm
  • Owen R. et Pamuk S., History of Middle Eastern Economies in the Twentieth Century, Harvard University Press, 1999.

To quote this article: Matthias Dalig and Myriam Catusse, "Arab uprisings, Politics and Economy", Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), January 13th, 2015. [En ligne] http://ifpo.hypotheses.org/6335

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Matthias Dalig studies political science at the University of Freiburg and the Institut d’études politiques at Aix-en-Provence. He works as an intern at the Ifpo’s Department for Contemporary Studies.

All articles from Matthias Dalig

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Myriam Catusse is a political scientist. She is the director of the Department for Contemporary Studies at the Ifpo. A core researcher of the programmes When Authoritarianism Fails in the Arab World (ERC) and Power2Youth (7th PCRD), she authored Le Temps des entrepreneurs. Politique et transformations du capitalisme au Maroc, Paris, Maisonneuve & Larose, 2008, as well as L’État face aux débordements du social. Formation, travail et protection sociale, with B. Destremau and E. Verdier (dir.) Paris, Iremam-Karthala, 2010.

Personal page and bibliography: http://ifporient.org/myriam-catusse

All articles from Myriam Catusse

Fragmentation de l’Irak et droits des femmes

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Depuis la prise de Mossoul par l’État Islamique en Irak et au Levant (Da’ech) en juin 2014, la division définitive du territoire irakien sur des bases ethno-confessionnelles – Kurdes au Nord, Arabes sunnites à l’Est, et Arabes chiites au Sud – semble inéluctable.

L’affaiblissement de l’État et l’implosion sociale et économique de la société irakienne remonte au moins aux bombardements de la coalition militaire menée par les Américains en 1991, à la campagne de répression menée par le régime ba’thiste de ses populations kurdes et chiites, doublée de la catastrophe humanitaire résultant de l’embargo économique qui fut imposé à sa population. La chute du régime de Saddam Hussein, provoquée par l’invasion américaine de 2003, a plongé l’Irak dans une violence opposant notamment les populations arabes sunnites et chiites et un chaos politique sans précédent. L’Irak n’a jamais été aussi fragmenté que depuis l’invasion américaine. L’administration américaine a, dès les premières années de l’occupation, institutionnalisé cette fragmentation en érigeant un système politique reposant sur des bases ethno-confessionnelles. Elle a pris une forme très concrète dans la division du territoire (partiellement occupé par Da’ech depuis l’été 2014), ainsi que dans la vie des Bagdadis dont la plupart vivent entre les murs de quartiers divisés entre sunnites et chiites. Mais il existe aussi une réalité de cette fragmentation souvent négligée : sa dimension de genre.

Rassemblement de la Ligue des Femmes Irakiennes (al-Rabitah) sur la place Firdaws au centre de Bagdad, le 8 mars 2012 - Zarha Ali

Rassemblement de la Ligue des Femmes Irakiennes (al-Rabitah) sur la place Firdaws au centre de Bagdad, le 8 mars 2012, photo Zahra Ali

Dès les premiers mois de l’occupation menée par les Américains, des islamistes conservateurs chiites ont proposé, lors d’une réunion du Gouvernement intérimaire irakien en décembre 2003, de recomposer le Code du Statut Personnel irakien sur une base communautaire, à l’image du Code du Statut Personnel libanais. Cette proposition, une première depuis l’instauration de la République irakienne, le 14 Juillet 1958, avait été justifié par Abdel Aziz al-Hakim, leader du Haut Conseil islamique d’Irak, l’un des principaux partis islamistes chiites arrivé au pouvoir avec les forces américaines, comme une expression de la liberté de croyance qui, selon lui, avait été brimée sous l’ancien régime. Il s’agissait, en réalité, de l’affirmation du caractère chiite de l’identité irakienne revendiquée par un groupe communautaire et politique ayant subi discrimination et répression violente de l’ancien régime. Suivant cette proposition, le Code du Statut Personnel – correspondant à la loi n° 188 élaborée en 1959, régissant les affaires privées (mariage, héritage, divorce, etc.) regroupant l’essentiel de la législation concernant les droits des femmes – ne serait plus appliqué de manière unifiée à tous les citoyens irakiens. Un code spécifique pour les chiites serait ajouté, offrant ainsi le droit à chaque communauté de réclamer son propre code.

Le Code du Statut Personnel, produit de la République de 1958

Lorsqu’elle a été adoptée en 1959, la loi n° 188 représentait l’un des codes les plus progressistes de la région en matière de droit des femmes. Il avait été obtenu grâce à l’activisme des féministes irakiennes, notamment celles de la Ligue des femmes irakiennes (al-Rabitah), dont la figure emblématique, Nazihay al-Dulaymi, grande militante communiste et première ministre femme arabe, avait participé à la rédaction. Le Code du Statut Personnel accordait même l’égalité en matière d’héritage, ce qui était (et demeure encore aujourd’hui) absolument inédit pour un Code qu’une assemblée de ‘ulémas sunnites et chiites avaient contribué à élaborer conjointement avec les autorités irakiennes. La première République irakienne dirigée par Abdel Karim Qasem était née dans un contexte où la culture politique dominante était celle de la gauche anti-impérialiste irakienne, notamment du Parti communiste, dont les organisations féminines étaient très actives. La remise en cause du Code du Statut Personnel suggère donc une rupture avec cet héritage unificateur né de la lutte contre l’impérialisme britannique.

La proposition du leader du Haut Conseil islamique d’Irak, en décembre 2003, ne fut jamais mise en application mais fut réitérée sous la forme de l’article 41 de la Constitution adoptée en 2005. Si cet article figure dans la nouvelle constitution, il n’est pas encore mis en application et c’est toujours la loi n° 188 qui est appliquée.

Plus récemment, dans le contexte des élections parlementaires, Al-Fadhila, autre parti islamiste chiite, a réitéré sa demande d’introduire un Code du Statut Personnel exclusivement inspiré de la jurisprudence Ja’fari (principale jurisprudence religieuse chiite en Irak). Cette jurisprudence implique entre autre l’autorisation du mariage des filles dès l’âge de neuf ans, considéré comme l’âge de la puberté (Sin al-Balagha).

Rencontre organisée par « le Réseau des Femmes Irakiennes » (al-Shabaka) à Bagdad, le 8 mars 2012.

Rencontre organisée par « le Réseau des Femmes Irakiennes » (al-Shabaka) à Bagdad, le 8 mars 2012.

La mobilisation des militantes des droits des femmes

Les militantes des droits des femmes en Irak, regroupées autour du Réseau des femmes irakiennes (al-Shabaka), ont dénoncé cette tentative de remise en cause du Code du Statut Personnel par des partis qui ont tous en commun d’être conservateurs et communautaires. Elles considèrent que ce Code, bien qu’imparfait – il avait été réformé dans un sens plus régressif par le régime de Saddam dans les années 1990 – préserve l’unité des Irakiens en matière de droits personnels, notamment en permettant les mariages interconfessionnels, et surtout qu’il garantit une lecture relativement égalitaire des droits des femmes (divorce, âge du mariage et restriction de la polygamie).

Les militantes irakiennes pour les droits des femmes ont aussi dénoncé la prégnance du conservatisme communautaire et religieux qui domine la société irakienne actuelle. Ce conservatisme s’était développé à travers la Campagne de Foi (Hamlay Imanyah) lancée par Saddam Hussein dans les années 1990. Il fut aggravé par la misère sociale provoquée par l’embargo qui a fait émergé ce que Yasmin H. Al-Jawahiri (2008) a appelé de « nouvelles formes de patriarcat ». Il atteint son paroxysme depuis 2003 avec l’arrivée de partis islamistes conservateurs au pouvoir, comme l’ont indiqué les recherches de Nadje Al-Ali (Al-Ali 2007 ; Al-Ali & Pratt, 2009). Insistant sur la nécessité de préserver le mariage civil, l’Association des femmes de Baghdad (Jam’yah Nisa’ Baghdad) a d’ailleurs récemment lancé une campagne visant à lutter contre les mariages contractés en dehors du tribunal. Ces mariages, appelés Zawaj al-Seyyed (c’est-à-dire des mariages certifiés par un représentant religieux), seraient en recrudescence en Irak depuis 2003. Ces unions exposeraient les jeunes femmes à un régime de droits très limité et à une absence de reconnaissance légale vis-à-vis de la loi irakienne. L’association dénonce l’augmentation, à travers le Zawaj al-Seyyed, des mariages de jeunes filles de l’âge de 12 à 13 ans qui seraient de plus en plus fréquents dans les milieux défavorisés.

La question de la visibilité politique des femmes comme cache-misère

Ainsi, la fragmentation de l’identité et du territoire irakien sur des bases ethno-confessionnelles, en plus du chaos sécuritaire qu’elle suscite, a bien un impact réel sur les droits des femmes. Les différents gouvernements irakiens élus depuis 2003, accusés par l’opposition et les organisations de la société civile de corruption et d’incompétence, n’ont jusqu’alors pas réussi à répondre aux besoins fondamentaux de la population irakienne : la sécurité, l’accès à l’eau potable, l’électricité et à résoudre la crise du chômage et du logement.

La crise politique et militaire que le pays traverse n’est pas sans lien avec le communautarisme du gouvernement central. Celui-ci est accusé de privilégier la population d’obédience chiite et d’avoir été incapable de régler les demandes d’égalité de traitement des différentes communautés qui composent l’Irak. Sa réponse par la violence aux insurrections de groupes sunnites à l’Ouest du pays a provoqué l’adhésion à Da’ech de certains de ces groupes lors de la prise de Mossoul.

De plus, la militarisation de la société irakienne (datant de la moitié des années 1980), accompagnée de la célébration de la figure masculine du soldat – poussée à son paroxysme depuis l’invasion de Da’ech –, implique une forme de banalisation de la violence et une recomposition des rapports de genre, régie par des exigences de sécurité et non plus d’égalité de traitement entre les sexes.

Tous ont insisté sur la visibilité et la participation politique des femmes : l’administration américaine, suivie durant l’occupation par l’ONU et un réseau d’ONG et la nouvelle élite politique kurde et chiite arrivée au pouvoir en 2003. Un quota de 25 % (30 % au Kurdistan) de femmes dans les assemblées représentatives a même été adopté en 2005. La visibilité politique des femmes, dont la majorité à entrer au Parlement irakien étaient celles représentant les groupes les plus conservateurs et communautaires, a ainsi pu donner bonne conscience à l’administration américaine, aux groupes politiques et aux ONG présents notamment lors des premières années de l’occupation.  Pour les femmes irakiennes depuis 2003, il a donc été préféré visibilité à égalité, et participation (au chaos) politique à accès aux droits.

L’imbrication des questions de genre et de nation

Le 8 mars 2014, les militantes pour les droits des femmes en Irak étaient rassemblées place Kehramana dans le centre de Bagdad pour dénoncer la remise en question du Code du Statut Personnel et défendre l’unité du peuple irakien contre les divisions confessionnelles. Depuis l’été 2014, le territoire irakien est divisé comme jamais : à l’Ouest l’organisation État Islamique, au Nord le Kurdistan d’Irak, à Bagdad et au Sud une population principalement chiite. Dans un contexte où division territoriale et militarisation du conflit vont de pair avec conservatismes social et religieux, il sera difficile de lutter contre la confessionnalisation des droits des femmes. Le pays compte déjà plus d’un million et demi de veuves et semble replonger dans le chaos et la violence qu’il a connu en 2006-2007, lorsqu’ un millier d’irakiens mourraient chaque semaine.

Comme l’indique les recherches de Pierre-Jean Luizard (1991, 2002), il faut remonter à la formation même de l’État irakien – produit de la colonisation britannique et État élaboré « contre sa société », c’est-à-dire marginalisant sa composante arabe chiite et kurde – pour comprendre les divisions post-2003. Mais il est certain que l’invasion américaine a poussé à leur paroxysme les revendications identitaires des différents groupes qui composent le pays.

La recomposition de la question des droits des femmes liée à la crise politique et à la division ethno-confessionnelle de l’Irak est ainsi une illustration parlante des imbrications des questions de nation et de genre. Des expériences et des représentations divergentes de l’identité nationale irakienne, au cœur desquelles figurent l’autoritarisme du régime ba’thiste et l’intervention américaine qui y a mis brutalement fin, ont exacerbé la fragmentation ethno-confessionnelle du pays. Les droits des femmes sont ici instrumentalisés au profit d’intérêt de groupes politiques souhaitant investir la nation irakienne de leur identité ethno-confessionnelle. Les groupes islamistes chiites au pouvoir depuis 2003 ont vécu « l’unité nationale » du régime ba’thiste comme une marginalisation et un déni de leur identité, et leur demande de reconnaissance implique la revendication d’un registre de droits spécifiques.

Les représentations et pratiques de genre ont été façonnées par la militarisation impliquant des représentations genrées normatives et une banalisation de la violence. L’implosion socio-économique de la société irakienne sur fond de conservatisme social et religieux entamée sous le régime ba’thiste, exacerbé durant l’embargo, a atteint son paroxysme sous l’occupation américaine. Ainsi, la recomposition des droits des femmes s’effectue dans un contexte ou les normes de genre sont définies par des représentations patriarcales et inégalitaires et des conflits idéologiques légitimés par le registre confessionnel. 

Bibliographie

  • Al-Ali N., Iraqi Women: Untold Stories from 1948 to the Present, Zedbooks, 2007.
  • Al-Ali N. et Pratt N., What Kind of Liberation. Women and the occupation of Iraq, UCPress, 2009.
  • Al-Jawaheri H. Y., Women in Iraq: the Gender Impact of International Sanctions, IB Tauris, 2008.
  • Luizard P.,  La question irakienne, Fayard, 2002.
  • Luizard P.,  La Formation de l’Irak Contemporain. Le rôle politique des ulémas chiites à la fin de la domination Ottomane et au moment de la création de l’Etat irakien, CNRS éditions, 1991.

Pour citer ce billet : Zahra Ali, « Fragmentation de l’Irak et droits des femmes », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), 8 mars 2015. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/6366

zahra-ali-portrait

Zahra Ali est doctorante en sociologie à l’EHESS de Paris, associée à l’Ifpo et Visiting Academic au Center for Gender Studies de SOAS à Londres. Elle est spécialisée dans les études sur les femmes et le genre liées à l’islam et au Moyen-Orient. Ses récentes recherches, reposant sur une ethnographie du mouvement des femmes de l’Irak post-2003 et sur une socio-histoire des femmes et des politiques de genre en Irak depuis 1958, proposent d’explorer l’imbrication des questions de genre, de nation, d’État et de religion dans l’Irak contemporain.

Elle a publié en 2012 Féminismes Islamiques, première anthologie consacrée aux féminismes musulmans publiée en France (Editions La Fabrique), ouvrage traduit et publié en allemand (Passagen Verlag).

Tous les billets de Zahra Ali

 

Zahra Ali

Doctorante en sociologie EHESS/IFPO

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L’islam, les chercheurs et les journalistes (suite et fin)

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Précis de quelques termes galvaudés : traditionalisme, conservatisme, réformisme et modernisme

Dans un précédent article (Duarte 2014b), nous avons tenté de clarifier la terminologie appliquée à l’endroit des mouvements de l’islam politisé. Pour ce faire, nous avons étudié deux substantifs : islamisme et fondamentalisme. Nous proposions de faire tomber en désuétude « islamisme/islamiste(s) » pour la dangerosité de l’amalgame auquel ce vocable et ses dérivés conduisent, reprenant ainsi une prise de position défendue jadis par Maxime Rodinson (Rodinson 2003). Nous avions conservé « fondamentalisme » qui peut, quant à lui, caractériser un type de lecture des Textes fondateurs de certains courants de l’islam.

Nous abordons dans cet article le cas d’autres substantifs qui abondent dans les media dominants : traditionalisme, conservatisme, réformisme et modernisme.

Le traditionalisme, synonyme de conservatisme ?

Pas vraiment. Le traditionalisme renvoie tout d’abord à la Tradition (désormais avec la majuscule) et, pour ce qui concerne l’islam majoritaire (sunnite), elle englobe la multiséculaire production jurisprudentielle des rites (ou écoles) dont la plus ancienne, l’école ḥanafite, remonte au VIIIe siècle. Ce riche patrimoine (turāṯ) ne cesse jusqu’à nos jours de constituer la matière première indispensable aux futurs oulémas formés dans les mosquées-universités du monde musulman, la plus célèbre étant celle d’al-Azhar (« l’éclatante »), au Caire. Qualifier un individu ou un courant de l’islam de « traditionaliste », revient par conséquent à souligner l’attachement de ce dernier au riche patrimoine ancien et non à caractériser a priori une fermeture de l’esprit, qui n’est pas l’apanage des traditionalistes, loin s’en faut.

Contrairement à une idée reçue, l’extrême majorité des courants actuels de l’islam politisé dans le monde se sont construits contre les courants traditionalistes en combattant ce qu’ils considéraient être du taqlīd (« suivisme ») et en effectuant un formidable saut visant à écarter ce riche patrimoine. De Ḥasan al-Bannā (fondateur des Frères musulmans, 1906-1949) en Égypte, en passant par Muḥammad Ilyās en Inde (fondateur du Tablīġ, 1885-1944), au néo-salafisme officiel de l’Arabie Saoudite, voire même jusqu’aux groupes armés actuels prônant l’assassinat de masse (al-Qā‘ida, Dawla Islāmiyya), tous affirment ne s’appuyer que sur les Textes fondateurs (Coran et aḥādīṯ) et sur l’autorité de quelques figures et supposées avoir effectué elles-mêmes cette mise à l’écart de la Tradition.

Il est donc évident que le contexte d’énonciation est ici déterminant : qui qualifie qui ? Un musulman ou un courant de type réformiste (nous reviendrons sur ce terme) qui considère que l’attachement à la Tradition est nuisible, voire désuet, utilisera le qualificatif de traditionaliste comme synonyme de conservateur religieux. Il ne faut toutefois pas confondre son positionnement particulier avec une compréhension plus distanciée et plus objective du traditionalisme (appelé aussi parfois « traditionalisme d’école »). Il en est de même lorsqu’un moderniste (nous reviendrons sur ce terme également) utilise le qualificatif de traditionaliste. Pour lui, le traditionalisme est synonyme de conservatisme, mais il ne s’agit que de son point de vue. L’observant (chercheur ou journaliste) n’a pas a priori vocation à le prendre à son compte.

Le couple conservatisme/libéralisme : un évolutionnisme ?

Dans notre thèse de doctorat (Duarte 2014), nous nous sommes confronté à ce problème : en dépouillant la production théologico-politique de plus d’une dizaine de penseurs musulmans contemporains, il fallait bien distinguer leurs positionnements les uns des autres. Pour ce faire, nous nous sommes servi notamment de la dichotomie conservateur/libéral ; toutefois, celle-ci évolua au cours de notre travail. En effet, et en utilisant un exemple concret, nous nous sommes rendu compte qu’il n’y avait aucun sens à qualifier de « libéral » un auteur réformiste tel que le Tunisien Mohamed Talbi par rapport au penseur réformiste français, Tareq Oubrou, lequel serait par contraste plus « conservateur ». Si cela peut s’avérer en quelques points précis, ainsi quant à la prise en compte de la tradition prophétique ou sur la question du port du voile, Mohamed Talbi, en maints passages (Talbi 2009, 2011), montra néanmoins qu’il pouvait interpréter le texte coranique de manière bien plus littéraliste que Tareq Oubrou (Oubrou 2009, 2012).

Par conséquent, chacune de leur œuvre respective est une reconfiguration en soi par rapport à la Tradition. Ainsi, utiliser la dichotomie conservateur/libéral sans avoir conscience de cette reconfiguration individuelle, revient à adopter une vision évolutionniste à double entrée (conservatisme/libéralisme) qui ne résiste pas à l’analyse des œuvres dans leur ensemble et qui peut aboutir à de nombreux contre-sens ; et court le risque de perpétuer un évolutionnisme désuet. Une fois que l’on a conscience de ces reconfigurations originales, il est alors possible d’utiliser le qualificatif « conservateur » et son antonyme « libéral », raison pour laquelle nous les avons par la suite réintégrés dans notre rédaction finale mais en les dépouillant de cet évolutionnisme dangereux.

Critères distinctifs du réformisme

Les termes « réformisme/réformiste/réformateur » sont certainement parmi les plus ardus à circonscrire, tant la variété des acteurs qui s’en réclament est grande. Si l’on s’en tient à la période contemporaine, des auteurs aussi divers que le Tunisien Abdelmajid Charfi, le Marocain Muḥammad ‘Ābid al-Ğābirī, l’Égyptien Ğamāl al-Bannā, le Suisse Tariq Ramadan (petit-neveu de celui-ci), le Syrien Muḥammad Šaḥrūr, les Français Mohammed Arkoun ou Malek Chebel, et bien d’autres, pourront être classés aisément dans cette catégorie par nombre d’observateurs médiatiques ou scientifiques. Ceci pose à nos yeux un problème de qualification car leurs positionnements sont pourtant fort différents.

Pour résoudre cette problématique, nous avons dépouillé durant plusieurs mois notre corpus d’auteurs affirmant œuvrer à la « réforme de l’islam » (dont les auteurs susmentionnés). A l’issue de cet examen, nous avons pu extraire quatre critères distinctifs permettant de circonscrire ce que nous appelons la posture réformiste/réformatrice :

  1. sentiment d’une situation de rupture profonde (les outils pour appréhender la religion ne peuvent plus être une simple reprise des anciennes générations) ;
  2. position considérant que la religion est toujours dotée d’une normativité actuelle (quand bien même cette « normativité » se verrait restreinte, comme le propose l’imam Tareq Oubrou avec sa « contraction de la šarī‘a ») ;
  3. maîtrise significative du langage de la Tradition (« langage » impliquant la langue arabe mais aussi l’histoire et l’articulation des contenus de la Tradition juridique multiséculaire) ;
  4. lectorat supposé destiné prioritairement aux musulmans ;
  5. vision positive vis-à-vis de l’altérité (occidentale principalement).

Pour qu’un auteur soit considéré comme réformiste, il faut qu’il rassemble non pas certains de ces critères mais bien les cinq en même temps et c’est par l’émergence de ces derniers que nous avons pu ainsi distinguer (parmi les auteurs cités plus haut) ceux d’entre eux opérant une œuvre réformiste/réformatrice, à savoir ici : Ğamāl al-Bannā, Tariq Ramadan et Muḥammad Šaḥrūr.

Modernistes, post-modernistes

Les autres auteurs écartés précédemment du cercle des réformistes, à savoir : Abdelmajid Charfi, Muḥammad ‘Ābid al-Ğābirī et Mohammed Arkoun, ne correspondent pas à cette catégorie, dans la mesure où leur position n’accorde pas de normativité particulière à la religion (critère 2) et, spécifiquement pour le dernier d’entre eux, par le fait également que son lectorat supposé n’est pas prioritairement constitué des Musulmans (critère 4). Enfin, nous avons exclu aussi Malek Chebel des réformistes en raison de son manque de maîtrise du langage de la Tradition (critère 3) illustré par un nombre impressionnant d’anachronismes, d’inexactitudes et de contre-vérités contenues dans sa production écrite abordant la réforme de l’islam[1].

Ces penseurs, une fois sortis du cadre du réformisme islamique, n’en sont pas moins pertinents sur le plan de la pensée, bien entendu, mais nous pensons qu’il est plus pertinent de leur attribuer le qualificatif de « moderniste » (pour Abdelmajid Charfi) et de « post-modernistes » (pour Muḥammad ‘Ābid al-Ğābirī et Mohammed Arkoun). Moderniste, car l’horizon d’espérance de la réflexion d’Abdelmajid Charfi sur l’islam et la religion en général consiste en ce que la seule voie possible universelle reste celle de suivre la modernité ouest-européenne conquérante des XIXe-XXe siècles (le « grand récit », Lyotard, 1988). Quant aux seconds, nous leur préférons la qualification de « post-modernistes » car, contrairement aux précédents, ils jettent également le doute sur cette modernité-là, en la déconstruisant et en y percevant ses limites et ses travers, au point qu’ils n’en font point, quant à eux, leur horizon d’espérance (le « progrès » et la perpétuation des hiérarchies existantes, Cooper, 1989, Avelsson et Deetz, 1996).

Conclusion

Le traditionalisme, nous l’avons vu, n’est pas systématiquement une posture dénotant un conservatisme à l’égard des textes, si ce n’est dans le regard des seuls acteurs qui s’opposent au legs de la Tradition médiatisée par les rites juridiques anciens du sunnisme. Le réformisme, bien que divers dans ses expressions, peut être déterminé par un ensemble indivisible de cinq critères qui furent expérimentés tout au long de notre thèse de doctorat, avec jusqu’à présent un certain succès démontrant leur pertinence. Enfin, nous proposons de catégoriser les auteurs non réformistes sous les intitulés « modernistes » et « post-modernistes ».

Notre examen systématique des catégories médiatiques et scientifiques utilisées souvent à tort et à travers pour qualifier des phénomènes liés à l’islam contemporain constituera, nous l’espérons, une modeste contribution en vue d’y ajouter de l’intelligibilité et de la cohérence.

Bibliographie

  • Al-Bannā Ğ., 2005, Hal yumkin taṭbīq aš-šarī‘a (« Est-il possible d’appliquer la législation islamique ? »), Le Caire, Dār al-Fikr al-islāmī ; 1984, al-‘Awda ilā l-Qur’ān (« Le retour au Coran »), al-Ittiḥād al-islāmī ad-duwalī li-l-‘amal ; 2011, Qaḍāyā qur’āniyya (« Questions coraniques »), Beyrouth, Mu’assasat al-intišār al-‘arabī ; 2011, Tağrīd al-Buḫārī wa-Muslim min al-aḥādīṯ al-latī lā tulzim (« Dépouiller al-Buḫārī et Muslim des traditions prophétiques qui n’obligent pas »), Beyrouth, al-Intišār al-‘arabī.
  • Arkoun M., 1982, Lectures du Coran, Alif-Éditions de la Méditerranée [savoir], Tunis ; 1984, Pour une critique de la raison islamique, Maisonneuve et Larose [Islam d’hier et d’aujourd’hui] ; 2005, Humanisme et islam : combats et propositions, Vrin [Études musulmanes] ; 2007, ABC de l’Islam : pour sortir des clôtures dogmatiques, Grancher [ABC].
  • Avelsson M. et Deetz S., 1996, « Critical Theory and Postmodernism Approaches to Organizational Studies », dans Handbook of Organizational Studies, Clegg, Hardy et Nord (éd.), Sage Publications.
  • Charfi A., 2008, La pensée islamique, rupture et fidélité, Albin Michel [L’islam des lumières] ; 2011, entretien à l’émission Masārāt (« Parcours »), visible à http://www.youtube.com/watch?v=sfJ5AMqQ0KE, consulté le 27/07/2014.
  • Chebel M., 2004, Manifeste pour un islam des Lumières, Fayard.
  • Chebel M., 2013, Changer l’islam : dictionnaire des réformateurs musulmans des origines à nos jours, Albin Michel.
  • Duarte S., 2014a, « L’idée de réforme religieuse en islam depuis les indépendances », Paris, EPHE (thèse de doctorat).
  • Duarte S., 2014b, « Islam, islamisme, fondamentalisme… Qui nomme ? les journalistes, les chercheurs ou les acteurs ? », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient [http://ifpo.hypotheses.org/6297].
  • al-Ğābirī M. ‘Ā., 1984, Naqd al-‘aql al-‘arabī (« Critique de la raison arabe »), vol. 1 [« Takwīn al-‘aql al-‘arabī »], Beyrouth, Markaz dirāsāt al-waḥda al-‘arabiyya.
  • Hallaq W., 2005, The Origins and Evolution of Islamic Law, Cambridge, Cambridge University Press.
  • Lyotard J.F., 1988, Le postmoderne expliqué aux enfants : correspondance 1982-1985, Éditions Galilée.
  • Oubrou T., 2009, Profession Imâm, Albin Michel [Spiritualités] ; 2013, Un imam en colère : intégration, laïcité, violences [entretien avec Samuel Lieven], Bayard.
  • Ramadan T., 2003, Les musulmans d’Occident et l’avenir de l’islam, Sindbad/Actes ;
  • Ramadan T., 2008, Islam, la réforme radicale : éthique et libération, Presses du Châtelet ;
  • Ramadan T., 2006, Vie du Prophète : les enseignements spirituels et contemporains, Presses du Châtelet.
  • Rodinson M., 2003, La fascination de l’islam, Paris, La Découverte/Poche (Sciences humaines et sociales).
  • Talbi M., 1994, Ma religion c’est la liberté (« Ummat al-Wasaṭ »), trad. Mohamed Salah Barbouche, Tunis, Nirvana.
  • Talbi M.,2011, L’islam n’est pas voile il est culte : rénovation de la pensée musulmane, Tunis, Éditions Cartaginoiseries.

[1] Une simple lecture analytique des entrées de son dictionnaire biographique (Chebel 2013) des réformistes sous la seule lettre « A » suffirait à prouver ce que nous avançons.

Pour citer ce billet : Steven Duarte, « L’islam, les chercheurs et les journalistes (suite et fin) », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), 8 juillet 2015. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/6985

Photo_duarte-web

Steven Duarte est agrégé d’arabe et docteur ès études arabes et islamiques (EPHE). Il enseigne la langue arabe et les réformismes de l’islam contemporain à l’Université Paris 13. Sa thèse portait sur une sélection de dix penseurs réformistes musulmans dont la production s’étend de la moitié du 20e siècle à nos jours.

Son travail de recherche vise à rendre compte et à analyser progressivement la riche production réformiste à l’échelle du monde musulman sunnite puis à la mettre en rapport avec des questions contemporaines majeures : modernités multiples, altérités culturelles, conflits, évolutions de la religiosité.

Local engagements in the Palestinian refugee camps of Beirut: a case of depoliticisation?

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Camp de Mar Elias, Beyrouth © Alex Mahoudeau, Avril 2015

Camp de Mar Elias, Beyrouth © Alex Mahoudeau, Avril 2015

The development of NGOs is commonly seen as leading to a depoliticisation of the Palestinian community in Lebanon because of their focus on development projects and social questions. Yet, I argue that engagement in these cases is better seen as a process of “politicisation under constraint” (Vairel and Zaki, 2011) rather than depoliticisation.

“NGOisation” or depoliticisation

Since the end of the Lebanese Civil War, the Palestinian refugee camps have seen a transformation in their political organisation. Non-governmental organisations (NGOs) have developed along with actors more directly labelled as political, notably parties and the Popular Committees (PCs) named by the parties, to play the role of municipalities in the camps. This development is partly linked to the shrinking of the partisan organisations’ resources after the departure of the Palestinian Liberation Organisation from the country in 1982.

The effect of this change on the politicisation of the camps’ communities has been debated among scholars in recent years. According to Islah Jad, the growing role of the NGOs in the Palestinian political world leads to a decrease in social movements and political mobilisation (2010), due to the NGOs’ organisational structure as much as their functioning by projects. Meanwhile, these actors diffused a formulation of the communities’ issues in technical and apolitical terms in order to mobilise international funding (Hanafi and Tabar, 2003). Finally, the emergence of actors in competition with the PCs, including the NGOs has been associated with a decline of trust towards politics in the camps (Kortam, 2011).

Seeing social and political engagement through the urban lens

This report is based on fieldwork led between November 2014 and May 2015 in the camps of Shatila, Burj al-Barajneh and Mar Elias, aiming to investigate the relationship between the space of the camps and social engagement within them. The main aim of this research is to understand the role of place-belonging in the shaping of activism, and how space matters in the types of mobilisation observed.

Data was collected via participant observation and 37 ethnographic interviews mainly with activists and cadres of three organisations – but also with donors and PC members – engaging in these camps on questions of urban services provision (such as electricity, water and sewage) in addition to humanitarian redistribution or community support. This engagement took the form of actions of lobbying, demonstration, and organisation of awareness raising campaigns consisting in debates with camp inhabitants or authorities. The three groups self-identified as upholding activism, and “activist” was used as a generic term in these organisations when referring to their members, in a situation between employment and volunteering. The first one is a Palestinian NGO mainly targeting Palestinian women; the second a group of local youth activists supported by a company specialised in funding urban development projects in the camps; the last one a self-sustained community centre created from youth activists in the camp of Burj al-Barajneh.

Rejection of the political appeared prominently in the discourse of most informants, who kept the political reference distant from their activity and claimed a clear distinction between “the social” [iǧtimāʿī] and “the political” [siyāsī]. This was particularly true for those who never engaged in other organisations but the NGOs. Yet this distinction was also prominent during the interviews of actors who openly talked politics and expressed the desire to realise social – and occasionally institutional – change through their engagement.

Talking services, avoiding politics

The informants – including non-members of the studied organisations – generally emphasised the importance of issues related to urban services and including education, the right to work, and access to medicine – all categorised as “problems of the camp” [mašākil al-muḫayyam]. These problems were mostly publicised by a group of professionalised association members. These activists resorted to representations and modes of action inspired by the practices of the international NGOs. The three organisations under study engaged in actions belonging both to contentious politics and social work.

Even when they took a broader perspective on the problems, most informants euphemised any political significance of their actions as “only wanting to improve people’s lives” or “wanting to do something for the camp”. In an interview following a demonstration that occurred in January 2015 concerning the problems of water, electricity, sewage and access of Syrian children to specific classes, a protester explained:

These demands are demands, I don’t know how to say they are everyday demands, for improving the life of people, enough with politics already. We do not demand a change of the system or anything like that. We do not care about the political problems the problems we care about are the problems of the people. These are everyday problems. […] Do you consider that the problem of the infrastructure, for instance, or the problem of education are political problems? […] For me it’s obvious that it’s not the same thing. The problems we talk about are everyday problems, that concerns the people in general, their needs. Their needs for living. These are not demands related to politics, these are not.

Avoiding the political was not specific to the NGOs. In early 2015, the group of local youth activists organised a series of meetings on the “problems of the camp” in Shatila and invited inhabitants, PC and party members (among which Fatah, the PFLP, and the Palestinian Islamic Jihad), and NGOs. All actors, whatever their status, introduced themselves as “son of the camps” [ibn al-muḫayyam] or “daughter of the camps” [bint al-muḫayyam] and euphemised their political affiliations even if those were acknowledged. Despite these claims, the core of the debate remained the reform of the PCs, that was deemed inefficient. Thus, it appeared that claiming apolitism was not a sign of lack of political motives, but a requirement to talk about the “problems of the camp”.

“Depoliticisation”, an ambivalent category

Restricting the definition of engagement in social questions to a depoliticised engagement fits neither the representations emerging from the actors, nor the goals of the organisations. Indeed the interviews showed that the activists did not merely aim at providing a service and referred to their action as attempts to serve the general interest extending it to a general interest and identifying opponents. More than rejection of the political, the issue is in part defining to what extent a social engagement aimed at a whole community is political or not. To approach the political, when the idea of “being political” was delegitimised, activists had to claim apolitical-ness or question the definition of politics. This is illustrated by the interview with a cadre of the same organisation, in February 2015:

As soon as the Palestinian people is concerned, there is a political issue […].How can one person think when one is poor? That’s why if you’re improving the social… it is a political act in itself! […] You know, it can be seen as running away from politics, but the people who say “Bla bla it’s not doing politics” they don’t see that no, it is a political act. Whether it is perceived as politics or not.

Yet, in order to tackle issues identified as social, actors feel compelled to label it as apolitical, or non-partisan: the pressure comes from the funders and the public alike, not as much because of a depoliticisation of the actors but because of the constraints placed by the “NGO-type” vocabulary describing motives. Behind the clear rejection of the political lies a form of politicisation that does not tell its name. In the situation of the three camps of Beirut, direct political claims belong to the parties, and are not associated to social issues. In that context avoiding the political appears as a way to express contention.

The main pitfall of analysing social engagement in the camps in terms of depoliticisation seems to be the reification of the concept of political. By defining “politics” in a restricted fashion, the question of how collective issues are effectively approached in the camps is overlooked. The association of “political” to “partisan” was systematic, and what appeared in these three camps was that the rejection of a political character is seen as the only way for certain actors to legitimately tackle political issues.

References

  • Bianchi S., 2012, “Towards a New National Imaginary? The Transformation of Social Work within the Palestinian Community in Lebanon”, in Caroline Abu-Sada and Benoît Challand (eds.), Le développement, une affaire d’ONG ? Associations, États et bailleurs dans le monde arabe, Paris, Beirut : Karthala, Ifpo, Iremam.
  • Hanafi S. and Tabar L., 2005, The Emergence of a Palestinian Globalized Elite: Donors, International Organizations and Local NGOs, Jerusalem, Institute of Jerusalem Studies & Muwatin, The Palestinian Institute for the Study of Democracy.
  • Jad I., 2010, “NGOs, between buzzwords and social movements”, in Andrea CORNWALL and Deborah EADE, Deconstructing Development Discourse. Buzzwords and Fuzzwords, Bourton on Dunsmore, Practical Action Publishing.
  • Kortam M., 2011, “Politics, Patronage and Popular Committees in the Shatila Refugee Camp”, in Are KNUDSEN and Sari HANAFI (eds.), Palestinian refugees, identity, place and space in the Levant, London, Routledge.
  • Vairel F. and Zaki L., 2011, “Politisation sous contrainte et politisation de la contrainte : outsiders politiques et outsiders de la ville au Maroc”, Critique internationale, vol. 1, n° 50.
    Pour citer ce billet : Alex Mahoudeau, « Local engagements in the Palestinian refugee camps of Beirut: a case of depoliticisation? », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), 21 septembre 2015. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/7005

    Alex Mahoudeau a commencé, en octobre 2013, un doctorat en science politique à la School of Government and International Affairs de l’université de Durham. Depuis septembre 2015, il prolonge cette thèse au Department of Middle Eastern Studies du King’s College de Londres, sous la direction de Jeroen Gunning. Ses recherches portent sur l’analyse par l’espace des mouvements sociaux dans les camps de réfugiés palestiniens de Beyrouth de la période post-accords de Taëf. Le principal objectif de sa thèse est d’analyser la façon dont l’espace vécu des camps est employé comme médiation dans la formulation des problèmes publics et de la politisation en leur sein.

Bel est bien mort

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In memoriam, Palmyre (6 avril 32 – 28 août 2015)

« Cependant ce temple si beau et si grand — et je ne parle pas des beautés cachées de son plafond ni de ses nombreuses statues de fer qui étaient recelées dans l’ombre loin du soleil — ce temple est détruit, il est perdu. »

Libanios, Discours XXX, 45, Pro Templis (ive s.)

 

Fig. 1 : Le temple de Bel en 2007, depuis le sud-est (cliché Ifpo).

Fig. 1 : Le temple de Bel en 2007, depuis le sud-est (cliché Ifpo).

Alors que l’arc monumental de Palmyre vient à son tour d’être réduit en poussière, nouvelle et désolante étape de la destruction systématique des vestiges de cette cité antique, nous avons souhaité revenir sur l’histoire riche et complexe de l’une des précédentes victimes dudit « État islamique » (E.I.), le temple de Bel. Âgé de presque 2000 ans, le sanctuaire principal de l’antique cité a lui aussi connu ces dernières semaines une notoriété posthume, lorsque l’E.I. l’a détruit à grands renforts d’explosifs, après l’avoir très probablement dépouillé des éléments de sculpture transportables et monnayables. Fleuron des monuments de Palmyre, il était l’un des temples antiques les mieux préservés du Proche-Orient (fig. 1). Si les médias sont revenus largement sur cette destruction en insistant sur l’importance du monument pour l’histoire antique, peu ont mis en avant le fait qu’au cours de ses vingt siècles d’existence il connut plusieurs vies. Temple païen à l’origine, il fut transformé en église et, quelques siècles plus tard, réaménagé en mosquée, fonction qu’il conserva pendant plus de 800 ans. Ironie de l’histoire, c’est la transformation de ce monument, au gré des cultes dominants, qui lui avait permis de traverser les siècles et de parvenir jusqu’à nous en si bon état, jusqu’à son irrémédiable destruction le 28 août dernier.

Fig. 2 : Le temple de Bel à Palmyre, de Henri SEYRIG, Robert AMY et Ernest WILL. Monographie publiée par l’Ifpo (alors IFAPO) en 1968 (album) et 1975 (texte et planches), dans la Bibliothèque Archéologique et Historique (BAH 83).

Fig. 2 : Le temple de Bel à Palmyre, de Henri SEYRIG, Robert AMY et Ernest WILL. Monographie publiée par l’Ifpo (alors IFAPO) en 1968 (album) et 1975 (texte et planches), dans la Bibliothèque Archéologique et Historique (BAH 83).

Dans l’introduction de la publication monographique que l’Institut français d’archéologie du Proche-Orient (IFAPO) lui a consacré, Ernest Will écrivait : « L’œuvre du maître inconnu qui conçut l’édifice, celle des artisans et des ouvriers qui lui donnèrent corps a reçu une consécration digne de leurs efforts dans l’album de planches (…). À lui seul, il suffirait à garantir la survie du monument ». Le directeur de l’IFAPO ne croyait pas si bien dire et les deux volumes de l’ouvrage Le temple de Bel à Palmyre (1968 et 1975, BAH 83) restent aujourd’hui le meilleur témoignage de la majesté de cet édifice (fig. 2).

La demeure de Bel, Yarhibôl et Aglibôl (Ier-IVe siècles)

Au cours de la première partie de son histoire, le monument était dédié à la triade divine palmyrénienne : Bel, le dieu suprême, Yarhibôl, le dieu Soleil et Aglibôl, le dieu Lune. Les vestiges de l’édifice dataient des premiers siècles de notre ère, mais un sanctuaire plus ancien occupait déjà les lieux à l’époque hellénistique. Les fouilles menées par l’archéologue syrien Michel Al-Maqdissi sur la colline artificielle (tell) qui accueillait ce sanctuaire indiquent même qu’un espace sacré existait sans doute là dès le 2e millénaire av. J.-C.

Fig. 3 : Proposition de restitution du temple de Bel à Palmyre, vue perspective depuis l’angle sud-ouest de la cour (SEYRIG, AMY, WILL 1975, pl. 141).

Fig. 3 : Proposition de restitution du temple de Bel à Palmyre, vue perspective depuis l’angle sud-ouest de la cour (SEYRIG, AMY, WILL 1975, pl. 141).

Entre 1929 et 1932, deux archéologues du Service des Antiquités de Syrie et du Liban, Henri Seyrig et Robert Amy, entreprirent l’étude approfondie de ce monument exceptionnel. Une inscription découverte au cours de leurs recherches place la date de consécration du temple – ou peut-être simplement de l’une de ses niches cultuelles (thalamos) – au 6 avril 32 apr. J.-C. De même, il apparut que les différents éléments du complexe architectural avaient été construits et remaniés à maintes reprises, entre le début du ier siècle et le iiie siècle. Le sanctuaire d’époque romaine consistait en un temple placé au centre d’une immense cour de quatre hectares, entourée de portiques. L’architecture du temple présentait, au sein d’une enveloppe composée d’un péristyle de type tout à fait gréco-romain, une cella dont les aménagements répondaient, quant à eux, à des pratiques de culte manifestement sémitiques. Ce temple hybride, qui associait les modèles architecturaux méditerranéens de l’époque romaine à des traits d’influences locales plus anciens, était l’un des plus beaux exemples du syncrétisme que l’on peut observer dans un grand nombre de monuments du Proche-Orient. En détruisant le bâtiment principal (fig. 3) – la cella du temple, où se trouvaient à l’origine des statues des divinités –, l’E.I. a également entraîné la perte de nombreux blocs décorés, souvent exceptionnels, qui nous renseignaient sur la vie et la religion dans l’antique Palmyre (représentation des dieux, processions…).

Sainte-Marie-de-Palmyre ? (VIe-VIIIe siècles)

Fig. 4 : Vestiges de la grande scène figurative chrétienne sur le mur intérieur ouest du temple de Bel (photo A. Schmidt-Colinet, in JASTRZEBOWSKA 2013, fig. 7).

Fig. 4 : Vestiges de la grande scène figurative chrétienne sur le mur intérieur ouest du temple de Bel (photo A. Schmidt-Colinet, in JASTRZEBOWSKA 2013, fig. 7).

À la fin du ive s., le christianisme devint la religion officielle de l’Empire romain. Dans les décennies et siècles qui suivirent, des temples païens furent détruits, d’autres transformés en églises – une façon d’imposer la nouvelle religion et de remployer les grands monuments désaffectés des villes et des campagnes. Ce fut le cas du temple de Bel, qui connut une phase d’occupation chrétienne entre le vevie siècles et le viiie siècle. Des vestiges de fresques colorées datant probablement du vie siècle étaient toujours visibles sur le mur ouest de l’ancien temple, de même que deux croix. La loge sud de l’ancienne cella semble avoir été transformée en chœur. Sur le mur ouest, une scène figurative laissait voir cinq personnages, peints avec soin (fig. 4). Selon l’archéologue E. Jastrzębowska, elle aurait représenté la Mère de Dieu tenant l’enfant divin sur les genoux, entourés d’un ange et de deux saints. L’une de ces deux dernières figures aurait pu représenter Saint Serge, un jeune martyr vénéré dans la région, par les tribus arabes particulièrement. Des inscriptions étaient gravées sur les murs de l’antique cella, dont une où un certain Lazare « serviteur de Dieu » salue la « Sainte Mère de Dieu, pleine de grâce ». E. Jastrzębowska propose ainsi que l’église ait été dédiée à la Vierge Marie.

Une mosquée vieille de huit siècles (XIIe-XXe siècles)

Pendant quatre siècles, du viiie au xiie s., le monument semble avoir été abandonné. En 1132-1133, suite à la prise de la ville par la dynastie musulmane des Bourides, l’enceinte de l’ancien sanctuaire fut fortifiée et son temenos, l’enclos antique sacré, devint une forteresse. C’est peut-être à cette époque que commença de se développer, à l’intérieur et aux abords immédiats, un véritable village. L’édifice central, alors debout, abrita dans ses murs une mosquée (fig. 5). On suppose que son installation fut le fait du représentant à Palmyre des princes de Damas, Abûl Hasan Yûsuf fils de Fîrûz, celui-là même qui transforma l’ancien sanctuaire en une forteresse. Cette mosquée fut rebâtie une ou deux fois au cours de sa longue existence. Plusieurs inscriptions arabes ont été découvertes dans l’édifice, deux d’entre elles, datées des xiie et xiiie siècles, signalent ces restaurations. La « troisième vie » du monument, mise au service du culte musulman, dura plus de huit siècles. Elle ne s’acheva qu’avec le début des fouilles archéologiques entreprises par le Service des Antiquités de Syrie et du Liban en 1932.

Fig. 5 : Coupe longitudinale sur le temple de Bel, mise en évidence des réoccupations médiévales dans les portiques et la cella (d’après WIEGANG 1932, p. 83).

Fig. 5 : Coupe longitudinale sur le temple de Bel, mise en évidence des réoccupations médiévales dans les portiques et la cella (d’après WIEGANG 1932, p. 83).

1930 : mort d’un village et naissance d’un monument historique

La création du Service des Antiquités de Syrie et du Liban est une conséquence directe de la mise en place du mandat français en Syrie en 1920. Afin de permettre le début des fouilles archéologiques dans l’enceinte du temple, ce service décida en 1929 de déloger les habitants du village, dont les maisons étaient agglomérées autour du temple, pour les reloger dans un village moderne édifié au nord de l’enceinte de la ville antique. Le temple, déjà bien visible, avait pourtant fait l’objet dès 1902 d’une première étude monographique, dans l’ouvrage monumental Palmyra. Ergebnisse der Expeditionen von 1902 und 1917 (Th. Wiegand, Berlin, 1932). Les relevés et photographies présentés dans cet ouvrage sont, avec quelques clichés du fond de photographies anciennes conservées à l’Ifpo, les seuls témoignages des aménagements médiévaux du sanctuaire de Bel. La destruction du village installé dans le temenos avait pour but la restitution de la monumentalité du sanctuaire initial et, pour cette même raison, les aménagements dont le temple avait fait l’objet lors de sa transformation en mosquée furent démontés.

Complémentaire des travaux de Wiegand, la publication réalisée par Henri Seyrig, Robert Amy et Ernest Will, permet aujourd’hui de disposer, malgré la disparition du temple, d’un dossier graphique exemplaire et exhaustif, maigre consolation qui rend un peu moins amère les destructions actuelles. Le temple fut partiellement restauré, la porte d’entrée en particulier, qui bénéficia d’une consolidation en 1932 (fig. 6). C’est d’ailleurs grâce à celle-ci, et à l’utilisation de béton armé, que la porte a résisté à la destruction et s’élève désormais seule sur le podium du temple rasé.

Enfin, l’ouverture de la Syrie au tourisme de masse et le classement de Palmyre au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1980 ont fait du temple de Bel un haut lieu touristique, tandis que se poursuivaient encore récemment les travaux archéologiques.

Fig. 6 : Restauration de la porte du temple en 1932. Vue d’ensemble du chantier depuis le nord-ouest (cliché Ifpo) et isométrie des parties hautes, avec mise en évidence des éléments en béton armé (ECOCHARD, Syria 18, 1937, fig. XXXV).

Fig. 6 : Restauration de la porte du temple en 1932. Vue d’ensemble du chantier depuis le nord-ouest (cliché Ifpo) et isométrie des parties hautes, avec mise en évidence des éléments en béton armé (ECOCHARD, Syria 18, 1937, fig. XXXV).

2015, une mort annoncée ?

La chronologie des différents états du temple de Bel, et surtout les processus mis à l’œuvre dans les réaffectations qu’il a subies, trouvent de nombreux parallèles. Beaucoup d’édifices antiques ne sont parvenus jusqu’à nous qu’en raison de leurs réoccupations successives. Ces monuments doivent leur survie à ces transformations qui, en leur redonnant une fonction, les ont sauvés de l’abandon et du démantèlement. Cette pratique semble presque systématique lorsqu’il s’agit d’édifices religieux : l’aspect sacré du lieu, son topos, se perpétue souvent au fil des réoccupations. L’exemple de la mosquée des Omeyyades à Damas est ainsi emblématique et comparable à l’histoire du temple de Bel. Vaste sanctuaire romain consacré à Jupiter, ce monument fut transformé à l’époque byzantine en une église dédiée à Saint Jean-Baptiste, puis devint la mosquée principale du Califat omeyyade, au début du viiie s. Le statut de capitale de la ville, ainsi que son importance économique, ont fait de cette mosquée un édifice majeur.

Palmyre cependant n’est pas Damas, et la modestie des réoccupations a sans doute guidé les archéologues des années 30 dans leurs choix. Jugé insignifiant au regard du monument qui lui servait d’écrin, le village a été sacrifié, selon la logique patrimoniale sélective de l’époque. De ce qui alors était considéré comme une architecture de « squat », dénuée d’importance ou de qualités historiques, il ne reste pour ainsi dire rien, les destructions n’ayant malheureusement pas été accompagnées de travaux de documentation systématique. Les clichés aériens de l’époque permettent à peine de reconstituer le dense réseau des ruelles du village et de suivre le gigantesque chantier qu’a dû être sa destruction (fig. 7).

Fig. 7 : Vues aériennes du sanctuaire de Bel, avant et en cours de dégagement (clichés Ifpo), avant et après sa destruction (clichés satellitaire Unitar-Unosat des 27 et 31 août 2015). Montage Ifpo.

Fig. 7 : Vues aériennes du sanctuaire de Bel, avant et en cours de dégagement (clichés Ifpo), avant et après sa destruction (clichés satellitaire Unitar-Unosat des 27 et 31 août 2015). Montage Th. Fournet.

Seule une maison, celle du mukhtar semble-t-il (équivalent du maire), fut préservée dans l’angle sud-est du temenos et transformée en maison de fouilles (fig. 8). L’idée des archéologues, toutefois, n’était sans doute pas de laisser un témoin de ce qui fut, mais plutôt de se ménager un logement à pied d’œuvre, dans l’une des plus belles maisons du village.

Fig. 8 : La « maison des archéologues », dans l’angle sud-est du temenos du sanctuaire de Bel, seul vestige du village qui l’occupait (clichés Ifpo, vers 1935 ?).

Fig. 8 : La « maison des archéologues », dans l’angle sud-est du temenos du sanctuaire de Bel, seul vestige du village qui l’occupait (clichés Ifpo, vers 1935 ?).

Que penser du choix opéré dans les années 1930 de déplacer un village et sa mosquée au profit de la mise en valeur d’un temple romain ? Avec le recul, il reflète parfaitement la hiérarchisation des périodes et des vestiges historiques pratiquée par les archéologues de la première moitié du xxe siècle, qui privilégiaient par principe l’antique au médiéval, le monumental au vernaculaire, le religieux au civil. Les diverses chartes internationales qui ont vu le jour depuis ont sensiblement fait évoluer cette conception du patrimoine ancien. Il nous semble évident – nous l’espérons en tout cas – que, si se posait aujourd’hui à nouveau la question de la mise en valeur du temple de Bel, un choix moins radical serait adopté. La charte d’Athènes, dès 1931, l’exprime clairement lorsqu’elle recommande « de maintenir l’occupation des monuments, qui assure la continuité de leur vie ». Vider le sanctuaire de Bel de son village médiéval, aussi modeste fût-il, pour permettre au temple de retrouver son intégrité antique, sa « résurrection » comme l’écrit Ernest Will, relevait en fait de la taxidermie : le monument, transformé, réaffecté, mais encore « habité », a subi une première mort en devenant ruine, aussi superbe fût-elle.

Une question peut être posée, même si elle apparaît bien vaine face à la sauvagerie et à la bêtise à l’œuvre aujourd’hui : quel regard les assassins de l’E.I. auraient-ils porté sur le sanctuaire de Bel si les choix des archéologues français du début du xxe s. avaient été différents ? Si le temple, plutôt que d’avoir été restauré et figé dans son état antique, avait été conservé au cœur d’un village habité ? Auraient-ils vu en lui le représentant d’un patrimoine décrété universel par une culture « occidentale » dont ils se défient, patrimoine voué de fait à une destruction symbolique ?

Sa porte imposante se dresse aujourd’hui seule au-dessus d’un tas de gravats, tel un monument dédié à sa propre mémoire, à celle de notre regretté et respecté collègue Khaled Al-Asaad, à celle du temple de Baalshamin, de l’arc monumental et de tant d’autres monuments détruits, à Palmyre et ailleurs. Nos pensées, à nous archéologues de l’Ifpo, vont à tous les Palmyréniens, à tous les Syriens, qui depuis plus de quatre ans souffrent dans leur chair, dans leur âme et jusque dans leurs pierres.

Caroline DURAND, Thibaud FOURNET, Pauline PIRAUD-FOURNET

Fig. 9 : Relevé d’un décor en bas-relief ornant une des poutres du sanctuaire et représentant une procession, avec restitution de la polychromie (SEYRIG, AMY, WILL, 1968-1975) © Institut Français du Proche-Orient.

Fig. 9 : Relevé d’un décor ornant une des poutres du sanctuaire de Bel, représentant une procession (SEYRIG, AMY, WILL, 1968-1975) © Institut Français du Proche-Orient.

Les auteurs remercient chaleureusement Frédéric Alpi, Jean-Baptiste Yon, Maurice Sartre et Annie Sartre-Fauriat pour leur relecture.

Pour en savoir plus :

  • En ligne : Palmyre, fouilles archéologiques (Fanny Arlandis) / Photothèque de l’ifpo (MediHAL)
  • Ecochard Michel, « Consolidation et restauration du portail du temple de Bêl à Palmyre », Syria 18, 1937, p. 298-307.
  • Hammad Manar, “Le sanctuaire de Bel à Tadmor-Palmyre”, dans Lire l’espace, comprendre l’architecture, 2006 (accessible en ligne)
  • Jastrzębowska Elżbieta, « Christianisation of Palmyra: Early Byzantine Church in the temple of Bel », Studia Palmyreńskie 12, Fifty Years of Polish Excavations in Palmyra 1959-2009, International Conference, Warsaw, 6-8 December 2010, 2013, p. 177-191.
  • Sartre Annie et Maurice , Zénobie, de Palmyre à Rome, Paris, 2014.
  • Sauvaget Jean, « Les inscriptions arabes du temple de Bel à Palmyre », Syria 12, 1931, p. 143-54
  • Seyrig Henri, Amy Robert, Will Ernest, Le Temple de Bêl à Palmyre, 2 vol. (Bibliothèque Archéologique et Historique 83), Paris, 1968-1975.
  • Wiegang Theodor (ed.), Palmyra. Ergebnisse der Expeditionen von 1902 und 1917, 2 vol., Berlin, 1932 (accessible en ligne).
  • Yon Jean-Baptiste, Les notables de Palmyre (Bibliothèque Archéologique et Historique 163), Beyrouth, 2002 (accessible en ligne).
  • Yon Jean-Baptiste, As’ad Khaled, avec la collab. de Fournet Thibaud, Inscriptions de Palmyre : promenades épigraphiques dans la ville antique de Palmyre, Beyrouth, 2001.
Pour citer ce billet : C. Durand, Th. Fournet, P. Piraud-Fournet, « Bel est bien mort. In memoriam, Palmyre (6 avr. 32 – 28 août 2015) », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), 5 octobre 2015. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/7020

Photo_duarte-webCaroline Durand est archéologue, chercheuse à l’Ifpo Amman depuis septembre 2012. Sa thèse de doctorat (Lyon 2) portait sur le rôle du royaume nabatéen dans les réseaux caravaniers et maritimes qui reliaient le Proche-Orient à l’océan Indien et au bassin méditerranéen aux époques hellénistique et romaine. Son intérêt pour les échanges commerciaux et culturels dans l’Antiquité l’a amenée à se spécialiser dans l’étude du matériel archéologique, en particulier la céramique. Elle collabore en tant que céramologue à plusieurs programmes archéologiques à Dharih, Pétra (Jordanie), Mada’in Saleh, Dumat (Arabie Saoudite) et Failaka (Koweit).

Thibaud Fournet est architecte et archéologue au CNRS, actuellement affecté à l’Ifpo, à Amman (Jordanie). Ses travaux portent principalement sur l’architecture et l’urbanisme du monde antique méditerranéen et, plus particulièrement, sur le Proche-Orient gréco-romain (Syrie, Liban, Jordanie, Egypte). Il collabore depuis de longues années à la mission archéologique française en Syrie du Sud (Bosra aux portes de l’Arabie) et mène depuis plusieurs années des recherches sur l’histoire du bain collectif en Méditerranée orientale, depuis les balaneia grecs et les thermes romains jusqu’aux hammams contemporains. Il a notamment travaillé sur les « bains de Dioclétien » à Palmyre.

Pauline Piraud-Fournet est archéologue et poursuit sa thèse d’archéologie (Paris IV-Sorbonne) sur l’habitat de la fin de l’Antiquité en Syrie. Elle a passé un diplôme d’architecte (ENSAL) pour se spécialiser dans la recherche en architecture antique. Elle travaille depuis de nombreuses années avec l’Ifpo, le Ministère français des Affaires Etrangères et le CNRS, sur plusieurs sites archéologiques du Proche-Orient (Liban, Jordanie, Syrie, dont Palmyre) en Tunisie, en Egypte, s’intéressant aux sanctuaires, à l’architecture funéraire, à l’habitat. Elle a occupé, de 2006 à 2012, le poste d’architecte pour le département scientifique Archéologie et histoire de l’Antiquité de l’Ifpo, à Damas, puis à Amman.


So long, Bel

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In memoriam, Palmyra (6 April 32 – 28 August 2015)

Translation from the French version : «Bel est bien mort» http://ifpo.hypotheses.org/7020

«But that temple, so magnificent and so large, not to mention the wonderful structure of the roof, and the many brass statues, now hid in darkness out of the light of the sun, is quite perished. »

Libanius, Oration 30: For the temples (Pro templis) (4th c. AD)

Fig. 1 : Le temple de Bel en 2007, depuis le sud-est (cliché Ifpo).

Fig. 1: The Temple of Bel in 2007, from the south-east (photo: Ifpo).

Since the monumental arch in Palmyra has, in its turn, just been reduced to dust, a new and dismaying stage in the systematic destruction of the remains of this ancient city, we would like to review the rich and complex history of one of the previous victims of the so-called “Islamic State” (IS), namely the Temple of Bel. Almost 2000 years old, the main sanctuary of the ancient city has recently gained posthumous notoriety, when IS destroyed it, with the use of much explosive, after most probably having stripped it of its transportable and saleable sculptures. It was the jewel of Palmyra’s monuments, and one of the best preserved ancient temples in the Near East (fig. 1). If the media gave this destruction wide coverage and insisted on the monument’s importance for ancient history, few highlighted the fact that, over the course of its twenty centuries of existence, it had known several lives. Originally a pagan temple, it was transformed into a church and, a few centuries later, changed into a mosque, a function it served for the next 800 years or more. It is an irony of history that it was the transformation of this monument according to the needs of the dominant cults that allowed it to cross the centuries and reach down to us in such good condition – that is until its utter destruction on the 28th August 2015.

Fig. 2 : Le temple de Bel à Palmyre, de Henri SEYRIG, Robert AMY et Ernest WILL. Monographie publiée par l’Ifpo (alors IFAPO) en 1968 (album) et 1975 (texte et planches), dans la Bibliothèque Archéologique et Historique (BAH 83).

Fig. 2: Le temple de Bel à Palmyre, by Henri SEYRIG, Robert AMY and Ernest WILL. Monograph published by Ifpo (then IFAPO) in 1968 (album) and 1975 (text and plates), in the Bibliothèque Archéologique et Historique series (BAH 83).

In the introduction to the monograph dedicated to the temple published by the Institut français d’archéologie du Proche-Orient (IFAPO), Ernest Will wrote: “The work of the unknown master who conceived the edifice and of the artisans and workers who gave it shape, has received recognition worthy of their efforts in this book of plates (…). It alone would suffice to guarantee the survival of the monument.” The director of IFAPO did not think his words would ring so true and the two volumes of Le temple de Bel à Palmyre (1968 and 1975, BAH 83) stand today as the best witness to the majesty of this edifice (Fig. 2).

The house of Bel, Yarhibol and Aglibol (1st–4th centuries AD)

During the first part of its history, the monument was dedicated to the divine triad of Palmyra: Bel, the supreme god, Yaribol, the sun god, and Aglibol, the moon god. Remains of this edifice dated to the first centuries AD, but an older sanctuary already used this place in the Hellenistic period. Excavations by the Syrian archaeologist Michel Al-Maqdissi on the man-made hill (tell) on which this sanctuary stood, show that this was probably already a sacred space as far back as the 2nd millennium BC.

Fig. 3 : Proposition de restitution du temple de Bel à Palmyre, vue perspective depuis l’angle sud-ouest de la cour (SEYRIG, AMY, WILL 1975, pl. 141).

Fig. 3: Suggested reconstruction of the Temple of Bel in Palmyra, perspective view from the south-west corner of the courtyard (SEYRIG, AMY, WILL 1975, pl. 141).

Between 1929 and 1932, two archaeologists working for the Service des Antiquités de Syrie et du Liban, Henri Seyrig and Robert Amy, undertook a detailed study of this exceptional monument. An inscription discovered during their research places the date of the temple’s consecration – or perhaps simply of one if its cultic niches (thalamos) – to the 6th April 32 AD. It also became clear that the various elements of this architectural complex had been built and modified many times between the beginning of the 1st and the 3rd century. The Roman-era sanctuary consisted of a temple placed in the centre of an immense courtyard of four hectares, adorned with porticoes. Surrounded by a typically Greco-Roman peristyle, the temple’s core consisted of a cella whose design, by contrast, was clearly dictated by Semitic cultic practices. This hybrid temple, which combined Mediterranean architectural models from the Roman period with traits of more ancient local influence, was one of the most beautiful examples of the syncretism that can be seen in many Near Eastern monuments. By destroying its main building (Fig. 3) – the cella of the temple, in which the statues of the divinities would originally have been housed – IS has also caused the loss of numerous, often exceptional, decorated blocks (representations of gods, processions etc.), which taught us about life and religion in ancient Palmyra.

Saint-Mary-of-Palmyra? (6th-8th centuries)

Fig. 4 : Vestiges de la grande scène figurative chrétienne sur le mur intérieur ouest du temple de Bel (photo A. Schmidt-Colinet, in JASTRZEBOWSKA 2013, fig. 7).

Fig. 4: Remains from the large Christian figurative scene on the interior of the west wall of the Temple of Bel (photo A. Schmidt-Colinet, in JASTRZEBOWSKA 2013, fig. 7).

At the end of the 4th century, Christianity became the official religion of the Roman Empire. In the decades and centuries that followed, some pagan temples were destroyed while others were transformed into churches as a way of imposing the new religion and of reusing large, disused monuments in the towns and villages. Such was the case for the Temple of Bel, which went through a phase of Christian use between the 5th–6th century until the 8th century. Remains of coloured frescoes, probably dating to the 6th century, were still visible on the walls of the ancient temple, along with two crosses. The south lodge of the ancient cella seems to have been transformed into a choir. On the west , a figurative scene depicted five carefully painted people (Fig. 4). According to archaeologist E. Jastrzębowska, it represented the Mother of God holding the divine child on her knees, surrounded by an angel and two saints. One of the two saints could perhaps have represented Saint Sergius, a young martyr venerated in the area, particularly by the Arab tribes. There were inscriptions engraved on the ancient cella walls, including one in which a certain Lazarus “servant of God” greets the “Holy Mother of God, full of grace”. E. Jastrzębowska therefore suggests that the church had been dedicated to the Virgin Mary.

A mosque eight centuries old (12th–20th centuries)

For four hundred years, between the 8th and 12th centuries, the monument seems to have been abandoned. Then in 1132–1133, following the take-over of the town by the Muslim dynasty of the Burids, the enclosure wall of the ancient sanctuary was fortified, and its temenos, the ancient sacred enclosure, became a fortress. It is perhaps at this time that, inside and in the immediately surrounding area, a proper village began to develop. The central edifice, then still standing, sheltered a mosque within its walls (Fig. 5). It is thought that its installation here was the work of Abul Hasan Yusuf, son of Firuz, the representative in Palmyra of the princes of Damascus, who was also responsible for transforming the ancient sanctuary into a fortress. This mosque was rebuilt once or twice over the course of its long existence. Several Arabic inscriptions were discovered in the edifice, two of which, dated to the 12th and 13th centuries, indicate these restoration works. The ‘third life’ of the monument, during which it served the Muslim religion, lasted more than eight centuries. It ended only with the beginning of the archaeological excavations by the Service des Antiquités de Syrie et du Liban in 1932.

Fig. 5 : Coupe longitudinale sur le temple de Bel, mise en évidence des réoccupations médiévales dans les portiques et la cella (d’après WIEGANG 1932, p. 83).

Fig. 5: Longitudinal cross-section of the Temple of Bel, showing the medieval reoccupations in the porticoes and cella (after WIEGANG 1932, p. 83).

1930: the death of a village and the birth of a historic monument

The creation of the Service des Antiquités de Syrie et du Liban was a direct consequence of the establishment of the French Mandate in Syria in 1920. In order to begin archaeological excavations in the temple enclosure the Department decided, in 1929, to remove the inhabitants of the village, whose houses were crowded around the temple, and rehouse them in a modern village built to the north of the ancient city walls. The temple, which was already clearly visible, had previously been the object of a monographic study, beginning in 1902, the monumental work Palmyra. Ergebnisse der Expeditionen von 1902 und 1917 (Th. Wiegand, Berlin, 1932). The drawings and photographs presented in this work are, with a few photos from the collection of old photographs kept in Ifpo, the only evidence of the medieval structures in the sanctuary of Bel. The intention behind the destruction of the village in the temenos was to restore the monumentality of the original sanctuary and, for the same reason, the renovations of the temple when it was converted to a mosque were also dismantled.

In addition to the works of Wiegand, the publication by Henri Seyrig, Robert Amy and Ernest Will, today provides us with an exemplary and exhaustive graphic document despite the disappearance of the temple – this is but small consolation to render the current destructions a little less bitter. The temple was partly restored, in particular the entranceway, which was consolidated in 1932 (Fig. 6). Indeed, it is thanks to this restoration, and the use of reinforced concrete, that the entranceway has resisted destruction and now stands alone on the podium of the razed temple.

Finally, the opening-up of Syria to mass tourism and the inclusion of Palmyra on the UNESCO World Heritage list in 1980 turned the Temple of Bel into a major tourist site, and archaeological work continued there until recently.

Fig. 6 : Restauration de la porte du temple en 1932. Vue d’ensemble du chantier depuis le nord-ouest (cliché Ifpo) et isométrie des parties hautes, avec mise en évidence des éléments en béton armé (ECOCHARD, Syria 18, 1937, fig. XXXV).

Fig. 6: Restoration of the temple entrance in 1932. View of the whole worksite from the north-west (photo by Ifpo) and isometric drawing of the upper parts showing the elements in reinforced concrete (ECOCHARD, Syria 18, 1937, fig. XXXV).

2015, a death foretold?

There are many parallels for the chronology of the various incarnations of the Temple of Bel, and particularly for the processes undertaken reassigning its use. Many ancient buildings have only managed to reach us because of successive reoccupations. Such monuments owe their survival to these transformations which, by making them useful, saved them from abandonment and dismantlement. This practice seems almost systematic in the case of religious structures: the sacred dimension of a place, its context, is often perpetuated over the course of its reoccupations. The example of the Umayyad mosque in Damascus is representative and comparable to the story of the Temple of Bel: initially a huge Roman sanctuary dedicated to Jupiter, the monument was transformed into a church dedicated to St John the Baptist in the Byzantine period, and then became the main mosque of the Umayyad caliphate in the early 8th century. The economic importance of the city, as well as its status as the capital, have made a major edifice of this mosque.

Palmyra, however, is not Damascus, and the small scale of the occupation no doubt guided the choices made by the archaeologists of the 1930s. Judged to be insignificant by comparison to the monument that framed it, the village was sacrificed in accordance with the selective logic of heritage at the time. Of what was then considered to be ‘squatter’ architecture, devoid of importance or historical interest, virtually nothing remains since, unfortunately, the destruction was not accompanied by any systematic documentation. The aerial photos of the time barely allow one to make out the dense network of village alleyways or to follow the progress of the demolition on what must have been a gigantic work site (Fig. 7).

Fig. 7 : Vues aériennes du sanctuaire de Bel, avant et en cours de dégagement (clichés Ifpo), avant et après sa destruction (clichés satellitaire Unitar-Unosat des 27 et 31 août 2015). Montage Ifpo.

Fig. 7: Aerial views of the sanctuary of Bel, before and during its clearance (photos by Ifpo), before and after its destruction (satellite photos Unitar-Unosat from 27 and 31 August 2015). Presentation Th. Fournet.

Only one house, seemingly that of the mukhtar (equivalent of the mayor), was saved in the south-east corner of the temenos and was transformed into a dig house (Fig. 8). No doubt the idea of the archaeologists was not to preserve a witness of what had once been, but rather to maintain on-site accommodation in one of the most beautiful houses of the village.

Fig. 8 : La « maison des archéologues », dans l’angle sud-est du temenos du sanctuaire de Bel, seul vestige du village qui l’occupait (clichés Ifpo, vers 1935 ?).

Fig. 8: The “house of the archaeologists” in the south-east corner of the temenos of the sanctuary of Bel, the only remnant of the village which once occupied the site (photo by Ifpo, c. 1935?).

What should we think about the choice made in the 1930s to displace a village and its mosque in favour of displaying a Roman temple? With hindsight, it clearly reflects the hierarchy of periods and historical remains practised by archaeologists in the first half of the 20th century, who, on principle, favoured the ancient over the medieval, the monumental over the vernacular, the religious over the secular. Various international charters which have been drawn up since have done much to develop this concept of our ancient heritage. It seems evident to us – at least we hope so – that if the question of the presentation of the Temple of Bel were to be considered again to day, a less radical choice would be adopted. The Athens Charter of 1931 expresses it clearly when it recommends “maintaining the occupation of monuments, which ensures the continuation of their lives”. To empty the sanctuary of Bel of its medieval village, however modest it was, to allow the temple to regain its ancient integrity, its ‘resurrection’ as Ernest Will wrote, was in fact closer to taxidermy: the monument, transformed, reused, but still ‘inhabited’, suffered its first death by becoming a ruin, however superb it was.

One question remains, even if it seems pointless in the face of the barbarity and stupidity of today’s happenings: how would the assassins of IS have seen the sanctuary of Bel if the choice made by the French archaeologists of the early 20th century had been different? If the temple, rather than being restored and frozen in its antique state, had be preserved in the heart of an inhabited village? Would they have seen it as the representative of a heritage declared universal by ‘western’ culture, which they defy, indeed as a heritage earmarked for symbolic destruction?

Its imposing entranceway today stands alone above a pile of debris, like a monument dedicated to its own memory, to that of our mourned and respected colleague Khaled Al-Asaad, to that of the Temple of Baalshamin, the monumental arch and so many other destroyed monuments, in Palmyra and elsewhere. Our thoughts, we the archaeologists of Ifpo, go to all the Palmyrans, to all the Syrians, who for more than four years have been suffering in their beings, in their souls and even in their stones.

Caroline DURAND, Thibaud FOURNET, Pauline PIRAUD-FOURNET

(translation Isabelle RUBEN)

Fig. 9 : Relevé d’un décor en bas-relief ornant une des poutres du sanctuaire et représentant une procession, avec restitution de la polychromie (SEYRIG, AMY, WILL, 1968-1975) © Institut Français du Proche-Orient.

The authors would like to thank Frédéric Alpi, Jean-Baptiste Yon, Maurice Sartre and Annie Sartre-Fauriat for editing this text.

Further reading:

  • On line: Palmyre, fouilles archéologiques (Fanny Arlandis) / Photo Library of Ifpo (MediHAL)
  • Ecochard Michel, « Consolidation et restauration du portail du temple de Bêl à Palmyre », Syria 18, 1937, p. 298-307.
  • Hammad Manar, “Le sanctuaire de Bel à Tadmor-Palmyre”, dans Lire l’espace, comprendre l’architecture, 2006 (accessible on line)
  • Jastrzębowska Elżbieta, « Christianisation of Palmyra: Early Byzantine Church in the temple of Bel », Studia Palmyreńskie 12, Fifty Years of Polish Excavations in Palmyra 1959-2009, International Conference, Warsaw, 6-8 December 2010, 2013, p. 177-191.
  • Sartre Annie et Maurice , Zénobie, de Palmyre à Rome, Paris, 2014.
  • Sauvaget Jean, « Les inscriptions arabes du temple de Bel à Palmyre », Syria 12, 1931, p. 143-54
  • Seyrig Henri, Amy Robert, Will Ernest, Le Temple de Bêl à Palmyre, 2 vol. (Bibliothèque Archéologique et Historique 83), Paris, 1968-1975.
  • Wiegang Theodor (ed.), Palmyra. Ergebnisse der Expeditionen von 1902 und 1917, 2 vol., Berlin, 1932 (accessible on line).
  • Yon Jean-Baptiste, Les notables de Palmyre (Bibliothèque Archéologique et Historique 163), Beirut, 2002 (accessible on line).
  • Yon Jean-Baptiste, As’ad Khaled, with contribution by Fournet Thibaud, Inscriptions de Palmyre : promenades épigraphiques dans la ville antique de Palmyre, Beirut, 2001.
To cite this posting: C. Durand, Th. Fournet, P. Piraud-Fournet, « So long, Bel. In memoriam, Palmyra (6 April 32 – 28 August 2015) », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), November **th, 2015. [On  line] http://ifpo.hypotheses.org/7101

Photo_duarte-webCaroline Durand is an archaeologist, and has been a researcher at Ifpo Amman since September 2012. Her doctoral thesis (Lyon 2) investigated the role of the Nabataean kingdom in the caravan and maritime networks linking the Near East with the Indian Ocean and the Mediterranean basin during the Hellenistic and Roman periods. Her interest in commercial and cultural exchanges in Antiquity led her to specialise in the study of archaeological material, ceramics in particular. As a pottery specialist, she collaborates with several archaeological projects, at Dharih, Petra (Jordan), Mada’in Saleh, Dumat (Saudi Arabia) and Failaka (Kuwait).

Thibaud Fournet is an architect and archaeologist with the CNRS, currently posted to Ifpo, Amman (Jordan). His work is mainly concerned with the architecture and urbanisation of the ancient Mediterranean world and, more particularly, with the Greco-Roman Near East (Syria, Lebanon, Jordan, Egypt). For many years he has collaborated with the French archaeological expedition in southern Syria (Bosra, aux portes de l’Arabie) and for several years has been carrying out research on the history of collective bathing in the eastern Mediterranean, from the Greek balaneia and Roman baths to the contemporary hammams. In particular, he has worked on “Diocletian’s baths” in Palmyra.

Pauline Piraud-Fournet is an archaeologist and is working on her doctorate in archaeology (Paris IV-Sorbonne) on dwellings in late antiquity in Syria. She gained a diploma in architecture (ENSAL) in order to specialise in the research of ancient architecture. For many years she has been working with Ifpo, the French Ministry of Foreign Affairs and the CNRS on archaeological sites in the Near East (Lebanon, Jordan, Syria, including Palmyra), in Tunisia, and in Egypt, with particular focus on sanctuaries, funerary architecture and dwellings. From 2006 to 2012, she held the post of architect for the scientific department of Archéologie et histoire de l’Antiquité of Ifpo, in Damascus, then in Amman.

وداعاً بل

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تكريماً لمدينة تدمر. معبد بل : ٦ نيسان ٣٢ م ـ ٢٨ آب ٢٠١٥

Read the English version here : http://ifpo.hypotheses.org/7101 and the original French version : http://ifpo.hypotheses.org/7020

Traduction vers l’arabe : Khaled Alsaleem

Révision : Iyas Hassan

ترجمة خالد السليم

مراجعة إياس حسن

« حتى دون أن أتكلم عن المفاتن الكامنة في أسقفه أو عن تماثيله الحديدية الكثيرة التي كانت مودعة فيه بعيدا عن عيون الناس، أستطيع القول إن هذا المعبد فسيحٌ رائعٌ فائقُ الجمال. ولكن قد تم تدميره، لقد فقدناه »

اقتباس من حولية :

Libanios, Discours XXX, 45, Pro Templis (ive s.)

Fig. 1 : Le temple de Bel en 2007, depuis le sud-est (cliché Ifpo).

الصورة ١: معبد بل عام ٢٠٠٧، منظر من الجهة الجنوبية الشرقية. من محفوظات الايفبو

 

في الوقت الذي كان فيه قوس النصر يتحول إلى ركام، مسجلاً فصلاً جديداً من فصول التدمير المنهجي لأوابد مدينة تدمر الأثرية، وددنا العودة إلى التاريخ الغني والمركب لمعبد بل، أحد ضحايا ما يسمى بتنظيم الدولة الإسلامية « داعش ». يعتبر هذا المعبد الذي يعود بتاريخه إلى أكثر من ألفي عام المركز الديني الرئيسي في المدينة الأثرية القديمة، وقد ذاع سيطه مؤخراً عندما قام عناصر تنظيم داعش بتفخيخه بكميات كبيرة من المتفجرات ونسفه قبل قيامهم على الأغلب بفك وسرقة منحوتاته وعناصره الزخرفية القابلة للنقل والبيع. إن معبد بل هو جوهرة أوابد مدينة تدمر الأثرية، وقد كان منذ أسابيع قليلة فقط أحد أقدم المعابد الأكثر حفظاً في الشرق الأدنى القديم (الصورة ١). لقد أكتسب هذا الصرح صخباً إعلامياً بعد تدميره، وذلك بسبب أهميته للتاريخ الإنساني، لكن القليل التفت إلى كونه أحد أهم الأمثلة على التطور والتجدد، فقد شهد هذا البناء أطواراً عديدة خلال العشرين قرناً التي عاشها. فقد كان في البداية معبدًا وثنيًّا، ثمّ تحوّل إلى كنيسة قبل أن يُستخدم كمسجد لأكثر من ٨٠٠ عام. من المفارقات التاريخية أن يعود الفضل في بقاء هذا الصرح الديني صامداً إلى كون كل الديانات التي هيمنت وتتابعت على المنطقة قد تبنّته فسمحت له بالاستمرارية والديمومة، وبالبقاء في حالة ممتازة حتى تاريخ تدميره بشكل كلي في الثامن والعشرين من شهر آب الفائت.

 

Fig. 2 : Le temple de Bel à Palmyre, de Henri SEYRIG, Robert AMY et Ernest WILL. Monographie publiée par l’Ifpo (alors IFAPO) en 1968 (album) et 1975 (texte et planches), dans la Bibliothèque Archéologique et Historique (BAH 83).

الصورة ٢ : كتاب معبد بل في تدمر (Le Temple de Bel à Palmyre) من تأليف هنري سيريغ، روبرت آمي و ايرنست ڨيل. من منشورات المعهد الفرنسي وقد جاء في مجلدين الأول هو الألبوم (Album) وتم نشره عام ١٩٦٨، والثاني (Texte et Planches) يتضمن الصور والشروحات وتم نشره عام ١٩٧٥، في العدد ٨٣ من مجلة مكتبة الأثار والتاريخ : (Bibliothèque Archéologique et Historique (BAH 83)

 

يكتب ايرنست ڨيل في مقدمة الكتاب الذي نشره المعهد الفرنسي لآثار الشرق الأدنى سابقاً (IFAPO – الايفابو) : « نالت هذه التحفة المعمارية، مجهولة المصمم قدراً كبيراً من الاهتمام في المجلد الأول يليق بالجهود العظيمة لأولئك العمال والفنانين الذين أعطوا هذا البناء شكله (…). ونستطيع القول إن هذا الكتاب وحده يشكل وثيقة ستضمن بقاء هذا البناء حياً في ذاكرة الأجيال « . ربما لم يكن مدير المعهد الفرنسي لآثار الشرق الأدنى يعلم كم كان تقديره صائبًا! فهذا الكتاب بجزأيه يمثل اليوم الشاهد الأبرز على جلال هذه الآبدة المعمارية العظيمة (الصورة 2).

 

منزل الآلهة بل ويرحبول وعجلبول ـ في الفترة ما بين القرنين الأول والرابع الميلاديين

كُرِّسَ هذا البناء خلال المرحلة الأولى من تاريخه للثالوث المقدس عند التدمريين : بل رب الأرباب وكبير الآلهة في تدمر، يرحبول إله الشمس وعجلبول إله القمر. وعلى الرغم من أن بقايا المعبد تعود إلى القرن الأول الميلادي، فإن المعطيات الأثرية تشير إلى وجود معبد أقدم كان يشغل نفس الموضع ويعود إلى الفترة الهلنستية. كما دلت التنقيبات الأثرية بإدارة الدكتور ميشيل المقدسي في التلّ الأثري الذي شُيّد عليه هذا المعبد إلى احتمال وجود مكان مقدس منذ الألف الثاني قبل الميلاد في نفس الموقع أيضاً.
Fig. 3 : Proposition de restitution du temple de Bel à Palmyre, vue perspective depuis l’angle sud-ouest de la cour (SEYRIG, AMY, WILL 1975, pl. 141).

الصورة ٣ : رسم متخيل لمعبد بل في تدمر، منظر من الزاوية الجنوبية الغربية للساحة الرئيسية (SEYRIG, AMY, WILL 1975 صفحة ١٤١).

 

بدأ بين عامي ١٩٢٩ و١٩٣٢ الباحثان الأثريان هنري سيريغ وروبرت آمي من دائرة آثار سورية ولبنان في ذلك الوقت، بدراسة معمقة لهذا الصرح الفريد. حيث عثرا خلال أعمالهما على نقش كتابي تم من خلاله تأريخ تشييد المبنى، أو ربما فقط أحد محاريبه الطقسية فحسب، في ٦ نيسان من العام ٣٢ للميلاد. كما تبين لهما أيضاً أن العناصر والأقسام المعمارية المختلفة كانت تخضع وبشكل مستمر لتعديلات وإعادة بناء ما بين بداية القرن الأول والثالث الميلاديين. تكوَّن معبد الفترة الرومانية من هيكل متوضع في مركز باحة فسيحة تبلغ مساحتها ٤ هكتارات، محاطة من جهاتها الأربع بـأروقة معمدة. وقد أظهرت عمارة المعبد تركيباً من تقاليد إغريقية رومانية تتمثل في الأروقة المعمدة، وأخرى شرقية تبدو جليّةً في إنشاءات الحرم الداخلي والتي تتوافق مع متطلبات الطقوس الساميّة. هذا المعبد الهجين والمركب، الذي زاوج بين النموذج المعماري المتوسطي للفترة الرومانية من جهة، وبين التقاليد المحلية القديمة من جهة أخرى، كان أحد أروع الأمثلة لهذا التوافق الذي نلحظه في عدد كبير من صروح ومباني الشرق الأدنى القديم. بتدميرهم هيكل المعبد (الصورة ٣)، حيث كانت توجد في السابق تماثيل الآلهة، تسبب رجال تنظيم داعش أيضاً بضياع عدد كبير من الزخارف الإستثنائية والتي كانت مصدراً رئيسياً لمعارفنا حول الحياة والدين في تدمر القديمة، لما تحمله من مشاهد تمثل الآلهة والمواكب الطقسية.

كنيسة القديسة مريم التدمرية ؟ – من القرن السادس حتى القرن الثامن الميلاديين

Fig. 4 : Vestiges de la grande scène figurative chrétienne sur le mur intérieur ouest du temple de Bel (photo A. Schmidt-Colinet, in JASTRZEBOWSKA 2013, fig. 7).

الصورة ٤: بقايا مشهد تصويري كبير يمثل تقاليد مسيحية مرسومة على الحائط الغربي الداخلي للمعبد (آ. شميت كولينه في كتاب جاسترزيبوفسكا ٢٠١٣، الصورة رقم ٧).

 

أصبحت المسيحية مع نهاية القرن الرابع الميلادي الديانة الرئيسية للإمبراطورية الرومانية. ومع مرور الزمن اختفت أماكن العبادة الوثنية، إما بتدميرها أو بتحويلها إلى كنائس. كان هذا شكلاً من أشكال فرض الدين الجديد وإعادة اِستثمار الأبنية المهجورة في المدن والأرياف. وكان هذا حال معبد بل الذي شهد فترة استيطان مسيحي بين القرنين الخامس والسادس الميلاديين. تبدو شواهد هذا الاستيطان واضحة من خلال الرسوم الملونة على الجدار الغربي للمعبد القديم والتي تعود غالباً إلى القرن السادس الميلادي، بالإضافة إلى وجود صليبين على الأقل. وعلى ما يبدو، فإنّ المحراب الجنوبي للمذبح القديم كان قد استخدم كجوقة خلال هذه الفترة. أما المشاهد الملونة والمرسومة بعناية على الجدار الغربي فتمثل خمسة أشخاص. (الصورة ٤). وفقاً لعالم الآثار جاسترزيبوفسكا، يمثل هذا المشهد مريم العذراء محتضنة يسوع المسيح على ركبتيها، والاثنان محاطان بملاك وقديسين من الممكن أن يكون أحدهما القديس سيرجوس، هذا الشاب الشهيد الذي كان أهالي المنطقة يبجلونه في تلك الفترة، وبشكل خاص القبائل العربية. كما يُظهر أحد النقوش الكتابية على جدران الحرم القديم قيام شخص يدعى ليعازار، الموصوف بـ « خادم الرب »، بتبجيل  » القديسة أم الرب، الممتلئة نعمةً « . لذلك يعتقد جاسترزيبوفسكا أن هذه الكنيسة كانت مكرَّسة لمريم العذراء.

 

مسجد قديم عاش ثمانية قرون  – من القرن ١٢ حتى القرن ٢٠

كان المبنى على ما يبدو قد هجر لأربعة قرون، تحديداً ما بين القرنين الثامن والثاني عشر الميلاديين. وبعد سقوط المدينة بين عامي ١١٣٢ و١١٣٣م بيد سلالة البوريين المسلمة، تم تدعيم سور المعبد وتحويل هيكله إلى حصن. وتعود غالباً إلى هذه الفترة بدايات توطّن مدني داخل أسوار المعبد وبالقرب منه. حيث تم إنشاء مسجد داخل البناء المركزي أو ما يسمى بالهيكل والذي كان لا يزال في تلك الفترة قائماً. (الصورة ٥). ومن المفترض أن إنشاء هذا المسجد تم على يد أبو الحسن يوسف بن فيروز ممثل أمراء دمشق في تدمر، وهو نفسه من قام بتحويل المعبد القديم إلى قلعة. ومن الواضح أنه قد تم إعادة بناء المسجد مرة أو مرتين خلال الثمانية قرون التي عشاها. حيث تشير بعض النقوش العربية التي تم العثور عليها داخل المعبد إلى أعمال ترميم وتجديد في هذا المسجد. مع بدء أعمال التنقيب في معبد بل أوائل عام ١٩٣٢ من قبل دائرة آثار سوريا ولبنان تكون المرحلة الثالثة من عمر هذا الصرح، والتي استمرت لأكثر من ٨٠٠ عام، قد وصلت إلى نهايتها.
Fig. 5 : Coupe longitudinale sur le temple de Bel, mise en évidence des réoccupations médiévales dans les portiques et la cella (d’après WIEGANG 1932, p. 83).

الصورة ٥: مقطع طولي لمعبد بل يُظهر مراحل إعادة الاستيطان في القرون الوسطى ضمن الهيكل (من قبل ڨيغانغ ١٩٣٢، ص ٨٣).

 

عام ١٩٣٠م : اندثار البلدة القديمة وبروز الصرح الأثري

كان من نتائج الانتداب الفرنسي على سورية عام ١٩٢٠ إنشاء دائرة آثار سورية ولبنان. ومن أجل البدأ بأعمال التنقيب الأثري في معبد بل قامت هذه الدائرة في عام ١٩٢٩ بالمباشرة بإجلاء سكان البلدة القديمة ونقل منازلهم من داخل الحرم إلى قرية جديدة إلى الشمال من أسوار المدينة الأثرية. لم تكن في الواقع أعمال التنقيب والبحث هذه هي الأولى من نوعها، حيث كان قد خضع المعبد، الذي كان لا يزال ظاهراً، إلى دراسة مفصلة عام ١٩٠٢ من قبل ويغاند في كتاب (Palmyra. Ergebnisse der Expeditionen von 1902 und 1917). وتعتبر المخططات واللوحات المقدمة في هذا الكتاب، بالإضافة إلى بعض الصور المحفوظة في أرشيف المعهد الفرنسي، الشواهد الوحيدة على مخلفات العصور الوسطى في معبد بل. لقد كان الهدف من إزالة البلدة المتوضعة داخل باحة المعبد هو إعادة ترميم البناء الأثري الأساسي ولهذا السبب أيضاً تم إزالة المعالم التي أضيفت للمعبد أثناء تحوله إلى مسجد. على الرغم من التدمير الذي أصاب المعبد الآن، فإن منشورات هنري سيريغ، روبرت آمي وإيرنست ڨيل، بالإضافة لأعمال ويغاند، تعرض ملفاً مصوراً ومفصلاً لهندسة وعمارة هذا الصرح. وربما يكون هذا عزاءنا الوحيد على الرغم من مرارة الفاجعة. لقد كان المعبد مرممًأ بشكل جزئي، فالبوابة الرئيسية بشكل خاص كانت مدعمة أثناء أعمال عام ١٩٣٢ (الصورة ٦) وبفضل استخدام الإسمنت المسلح استطاعت هذه البوابة الصمود أثناء تدمير داعش المعبد مؤخّراً، حيث تظهرها الصور وهي تنتصب وحيدة فوق أنقاض الهيكل. تجدر الإشارة أخيراً إلى أن معبد بل كان قد أصبح قبلة للسياح الوافدين من كل أصقاع العالم وبشكل خاص بعد وضع المدينة على قائمة التراث العالمي لليونسكو وازدهار حركة السياحة في سوريا. كما تجدر الإشارة إلى أن أعمال التنقيب والبحث الأثري كانت متواصلة في معبد بل حتى فترة قريبة.
Fig. 6 : Restauration de la porte du temple en 1932. Vue d’ensemble du chantier depuis le nord-ouest (cliché Ifpo) et isométrie des parties hautes, avec mise en évidence des éléments en béton armé (ECOCHARD, Syria 18, 1937, fig. XXXV).

الصورة ٦ : إعادة ترميم بوابة المعبد عام ١٩٣٢. منظر عام لورشة العمل من الجهة الشمالية الغربية (من محفوظات المعهد الفرنسي) وإلى جانبه رسم مجسم منظوري للأجزاء العليا مع إبراز عناصر الإسمنت المسلح (ECOCHARD, Syria 18, 1937, صورة٣٥).

 

٢٠١٥: موت مُعلن ؟

نجد العديد من الأمثلة الموازية لما تعرض له معبد بل عبر مراحله المختلفة من عمليات تجديد وإعادة استخدام، وهو أمر مألوف في هذا النوع من المباني الدينية. فكثير من الأوابد الأثرية بقيت صامدةً ولم تندثر بفضل إعادة استخدامها عبر العصور بشكل مستمر. تدين هذه المباني ببقائها إلى هذه التحولات التي أعطتها وظائف جديدة وحمتها من الهجر والاندثار. لقد كانت هذه الظاهرة شيئاً مألوفاً في الصروح الدينية، فقد بقي الطابع المقدس للمكان مستمراً بسبب إعادة الاستخدام واستدامة الاستيطان. وربما يعتبر الجامع الأموي في دمشق أحد أبرز هذه الأمثلة، كما يمكن مقارنته مع معبد بل في تدمر. فقبل أن يتحول إلى مركز للعبادة الإسلامية، كان الجامع الأموي معبداً رومانياً فسيحاً كُرِّس للإله جوبتير، ليتحول في فترة لاحقة خلال الفترة البيزنطية إلى كنيسة للقديس يوحنا المعمدان، ليصبح في النهاية مسجد الخليفة الأموي مع بداية القرن الثامن الميلادي. منحت مدينة دمشق أهمية إضافية للمسجد الأموي ليصبح من أهم الأوابد التاريخية والدينية في المنطقة بسبب كونها العاصمة السياسية للدولة ولفترات طويلة، إضافة إلى ثقلها الاقتصادي الكبير.
ولكن حال مدينة تدمر ليس كمدينة دمشق العاصمة، فضعف الاستيطان كان السبب الأساسي بدون شك وراء قرارات وخيارات علماء الآثار في ثلاثينيات القرن الماضي. ومقارنةً بعظمة البناء التاريخي الذي احتضن البلدة الصغيرة، اعتبرت هذه الأخيرة قليلة الأهمية، وتبعاً للتقاليد الأثرية السائدة في تلك الفترة تقرر إزالة هذه البلدة، ولم يبق أي أثر مما اعتبر في وقته عمارة عشوائية، خالية من أي أهمية تاريخية، ولسوء الحظ لم تترافق أعمال الإزالة هذه بتوثيق منهجي وعلمي. أما الصور الجوية القليلة المأخوذة في تلك الفترة، فكل ما نستطيع ملاحظته من خلالها هو تلك الشبكة الكثيفة لأزقة القرية، والآثار المرئية لهذا التدمير الذي لحق بالبلدة القديمة (الصورة ٧).

 

Fig. 7 : Vues aériennes du sanctuaire de Bel, avant et en cours de dégagement (clichés Ifpo), avant et après sa destruction (clichés satellitaire Unitar-Unosat des 27 et 31 août 2015). Montage Ifpo.

الصورة ٧ : مناظر جوية لمعبد بل قبل وخلال إزلة البلدة القديمة (من أرشيف المعهد الفرنسي)، قبل وبعد تدمير المعبد ٢٧ و٣١ آب (صورة فضائية مأخوذة من قبل معهد الأمم المتحدة للتدريب والبحث unitar) مونتاج تيبو فورنيه.

 

لم ينجُ من هذه البلدة سوى منزل واحد فقط هو منزل المختار في تلك الفترة والواقع في الزاوية الجنوبية الشرقية للهيكل، فقد تم الحفاظ عليه وتحويله إلى بيت للبعثات الأثرية يعرف اليوم باسم قصر الضيافة (الصورة ٨). دون شك، لم تكن فكرة علماء الآثار في ذلك الوقت الحفاظ على هذا المنزل كشاهد على البلدة، وإنما تجهيز مسكن للمنقبين في أحد أجمل بيوت القرية.
Fig. 8 : La « maison des archéologues », dans l’angle sud-est du temenos du sanctuaire de Bel, seul vestige du village qui l’occupait (clichés Ifpo, vers 1935 ?).

الصورة ٨ : قصر الضيافة الواقع في الجهة الجنوبية الشرقية لهيكل معبد بل، يشكل البقايا الوحيدة للبلدة القديمة التي احتضنتها أسوار معبد بل في العصور الوسطى (من أرشيفات المعهد الفرنسي).

 

يجب علينا أن نتسائل الآن حول ذلك الخيار الذي اُتخذ في ثلاثينيات القرن الماضي: هل كان من الصواب إزلة القرية ومسجدها من إجل إظهار المعبد الروماني ؟ يعكس هذا الخيار بصورة واضحة نظرة آثاريي النصف الأول من القرن العشرين التراتبيّة للحقب التاريخية وللُقاها الأثريّة، والتي تعطي الأولويّة، من حيث المبدأ، للحفاظ على آثار العصور القديمة قبل آثار العصور الوسطى، وتفضّل العناية بالصروح قبل الآثار ذات الطابع العام أو الشعبي، وبالعمارة الدينية قبل المدنيّة.

من المؤكّد – أو هذا ما نأمله على أقل تقدير – أنه لو طُرحت اليوم مجدّدًا مسألة إبراز القيمة الأثرية لمعبد بل، فلن يتم اللجوء إلى خيارات متطرّفة كتلك التي اتُخِذت حينها.

لقد قامت المواثيق الدولية المتعلقة بالحفاظ على التراث القديم بتطوير هذا المفهوم. فميثاق أثينا المتعلق بترميم الأوابد التاريخية ومنذ عام ١٩٣١ ينص بشكل واضح على :  » الحفاظ على المباني الأثرية والاهتمام بها بشكل يؤدي إلى استمرارية حياتها « . إجلاء قرية متواضعة تعود إلى العصور الوسطى من معبد بل، من أجل إعادة المعبد إلى حالته ومحيطه الأصليين، أو بعثه من جديد كما يقول إيرنست ڨيل، كان في الواقع عملية تحنيط  لهذا الفضاء الحي. فهذه الآبدة التاريخية بعد المراحل المختلفة التي مرّت بها، من إعادة استخدام وتوظيف إلى تبّدلات في سكّانها قد ماتت ميتةً أولى حين حُوِّلت إلى مجرّد حجارة أثريّة، على الرغم من بهاء هذه الحجارة.

وعلينا الأن أن نطرح هذا السؤال التالي، حتى و إن بدا عقيماً في مواجهة البربرية وما تعرض له معبد بل الآن : لو كانت خيارات أثاريي القرن العشرين مختلفةً، فهل كان رجال داعش سيتصرّفون اليوم بشكل مختلف؟ لو احتفظ معبد بل ببلدته القديمة المأهولة ولم يختزله الترميم إلى شكله الأولي، فهل كان ليلقى المصير إيّاه اليوم؟ هل كان رجال التنظيم المتطرّف سيرون فيه صورةً لتراث إنساني منذور للتدمير – الرمزي أقلّه – لكونه يصدر عن « ثقافة غربيّة » ألقى هذا التنظيم على كاهله مهمّة تحدّيها؟
تقف اليوم بوابة هذا الصرح وحيدة فوق كومة من الركام، نصباً مكرساً لذكرى بل، لروح زميلنا خالد الأسعد الذي طالما احترمناه ولكَم نفتقده، لذكرى معبد بعلشمين وقوس النصر غيرها من الأوابد والتحف المدمرة، في تدمر وغيرها من المدن الأثرية. قلوبنا، نحن آثاريي المعهد الفرنسي للشرق الأدنى، مع أهالي مدينة تدمر وكل الشعب السوري الذي يدفع وحده ضريبة هذه الحرب من لحمه وروحه وحجارته.

 

كارولين دوران، تيبو فورنيه، بولين بيرو فورنيه (ترجمة خالد السليم)

 

Fig. 9 : Relevé d’un décor en bas-relief ornant une des poutres du sanctuaire et représentant une procession, avec restitution de la polychromie (SEYRIG, AMY, WILL, 1968-1975) © Institut Français du Proche-Orient.

الصورة ٩ : رسم لزخرف يزين أحد أعمدة هيكل معبد بل، يمثل طقس الطواف المقدس للإله بل. (سيريغ، آمي، ڨيل ١٩٦٨ـ١٩٧٥) المعهد الفرنسي للشرق الأدنى.

 

يشكر كتَّاب هذا المقال كل من فردريك آلبي، جان باتيست يون، موريس سارتر وآني سارتر فوريات لإعادة القراءة.

 

لمزيد من المعلومات، انظر

 

  • On line: Palmyre, fouilles archéologiques (Fanny Arlandis) / Photo Library of Ifpo (MediHAL)
  • Ecochard Michel, « Consolidation et restauration du portail du temple de Bêl à Palmyre », Syria 18, 1937, p. 298-307.
  • Hammad Manar, “Le sanctuaire de Bel à Tadmor-Palmyre”, dans Lire l’espace, comprendre l’architecture, 2006 (accessible on line)
  • Jastrzębowska Elżbieta, « Christianisation of Palmyra: Early Byzantine Church in the temple of Bel », Studia Palmyreńskie 12, Fifty Years of Polish Excavations in Palmyra 1959-2009, International Conference, Warsaw, 6-8 December 2010, 2013, p. 177-191.
  • Sartre Annie et Maurice , Zénobie, de Palmyre à Rome, Paris, 2014.
  • Sauvaget Jean, « Les inscriptions arabes du temple de Bel à Palmyre », Syria 12, 1931, p. 143-54
  • Seyrig Henri, Amy Robert, Will Ernest, Le Temple de Bêl à Palmyre, 2 vol. (Bibliothèque Archéologique et Historique 83), Paris, 1968-1975.
  • Wiegang Theodor (ed.), Palmyra. Ergebnisse der Expeditionen von 1902 und 1917, 2 vol., Berlin, 1932 (accessible on line).
  • Yon Jean-Baptiste, Les notables de Palmyre (Bibliothèque Archéologique et Historique 163), Beirut, 2002 (accessible on line).
  • Yon Jean-Baptiste, As’ad Khaled, with contribution by Fournet Thibaud, Inscriptions de Palmyre : promenades épigraphiques dans la ville antique de Palmyre, Beirut, 2001.

To cite this posting: C. Durand, Th. Fournet, P. Piraud-Fournet,

« وداعاً بل. تكريماً لمدينة تدمر.
معبد بل : ٦ نيسان ٣٢ م ـ ٢٨ آب ٢٠١٥ »

Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), January 25th, 2016. [Online] http://ifpo.hypotheses.org/7135


Photo_duarte-webكارولين دوران : باحثة آثارية في ايفبو عمان منذ أيلول ٢٠١٢. ناقشت في أطروحة الدكتوراه التي أنجزتها في جامعة ليون الثانية عن « دور المملكة النبطية في حركة القوافل والنقل البحري في الشرق الأدنى بين المحيط الهندي والبحر المتوسط في الفترات الهلنستية والرومانية ». اهتمامها بالتبادلات التجارية والثقافية في العالم القديم دفعها للتخصص في دراسة المواد الأثرية وبشكل خاص الفخار. وهي تشارك بصفتها خبيرة فخاريات بالعديد من المشاريع الأثرية في خربة الذريح و البتراء في الأردن، أيظاً في مدائن صالح ودومة الجندل في المملكة السعودية، وفي فيلقة في الكويت.

تيبو فورنيه : باحث معماري وأثري في المركز الوطني للأبحاث العلمية CNRS . منتدَب في الوقت الحالي إلى الايفبو في عمان. تتمحور أبحاثه حول العمارة والتمدن في حضارات البحر المتوسط القديمة وبشكل خاص الشرق الأدنى خلال العصور الأغريقية الرومانية. عضو في البعثة الفرنسية الأثرية في سوريا الجنوبية كما يقوم ومنذ سنوات بأبحاث حول الحمامات العامة في حوض المتوسط الشرقي منذ الحمامات الإغريقية المعروفة باسم بالانيا (balaneia) والمسابح الرومانية (thermes) حتى الحمامات العامة المعاصرة. بالإضافة إلى ابحاثه حول حمامات ديوقلسيان (المعروفة باسم حمامات زنوبيا) في تدمر.

بولين بيرو فورنيه : باحثة آثارية، تقوم بتحضير أطروحة دكتوراه في جامعة باريس الرابعة ـ السوربون حول المباني السكنية في سوريا خلال الفترات الكلاسيكية. حاصلة على دبلوم في العمارة من المدرسة الوطنية العليا للعمارة في ليون (ENSAL) لتختص فيما بعد بالعمارة القديمة. تعمل منذ سنوات عديدة مع الايفبو ووزارة الخارجية الفرنسية والمركز الوطني للأبحاث العلمية (CNRS) في العديد من المواقع الأثرية في لبنان والأردن وسوريا حيث عملت في تدمر، وفي تونس ومصر. تدور اهتماماتها البحثية حول المعابد والعمارة الجنائزية وأيضاً العمارة السكنية. بين عامي ٢٠٠٦ و٢٠١٢ كانت تشغل منصب « معماري » في القسم العلمي للآثار والتاريخ في الايفبو في دمشق ومن ثم في عمان.

L’exil : un enjeu politique. Le cas des réfugiés kurdes syriens au Kurdistan irakien

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L’Irak accueille 400.000 réfugiés syriens (Unhcr, décembre 2015), dont 99 % de kurdes, installés majoritairement dans le nord du pays, au Kurdistan. Intégrée à un contexte où l’atmosphère conflictuelle rend incertaine les tracés nationaux, l’interaction entre ces personnes de même culture mais de nationalités différentes – syrienne et irakienne – devient un enjeu pour la question kurde dans sa dimension régionale. L’apparente ressource culturelle des migrants présuppose d’éventuelles allégeances intra-kurdes qui renforceraient, d’un point de vue politique, le poids de cette communauté dans la région. L’assise politique kurde irakienne est susceptible de devenir un enjeu pour la population syrienne en exil, à même d’utiliser l’influence de la région pour se renforcer. Soumis à des rivalités qui se réajustent, le terrain témoigne de l’hétérogénéité de la question kurde (syro-irakienne du moins). Un paysage politique se dessine dans les camps de réfugiés, à l’image d’une situation régionale qui se structure dans un contexte inédit. La micro-situation des camps de réfugiés devient un miroir du champ politique kurde syro-irakien.

Camp de Qushtapa, juin 2014, © Charlotte Watelet

Camp de Qushtapa, juin 2014, © Charlotte Watelet

Les camps de réfugiés, prolongements du territoire kurde syrien

On compte aujourd’hui neuf camps de réfugiés au Kurdistan irakien, établis dans les trois gouvernorats de la région – Erbil, Duhok et Suleymaniye. L’enquête sur laquelle s’appuie ce billet a principalement été menée dans le camp de Qushtapa, situé dans le gouvernorat d’Erbil, capitale du Gouvernement Régional du Kurdistan (KRG). Ce camp héberge 6.369 réfugiés enregistrés par le HCR (décembre 2015) et s’étend sur une surface de 426.000 mètres carrés. Cet espace, symptomatique de la « zone frontière », s’aménage comme un microcosme kurde syrien. L’étiquette apolitique du camp, revendiquée par les instances en charge de son organisation (Gouvernement, HCR), marque la volonté de garder sous silence un jeu politique interne pourtant très prégnant. Dans ce camp, les rivalités du terrain syrien se prolongent et s’agencent en fonction des nouveaux acteurs.

Le camp de Qushtapa se situe dans une zone où le monopole revient au Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) – parti kurde irakien dirigé par Massoud Barzani, président du KRG. C’est donc son homologue syrien, le Parti Démocratique du Kurdistan syrien (PDKS) qui obtient le leadership à l’intérieur du camp. Ce monopole, qui contredit l’officielle neutralité du camp, se manifeste d’abord visuellement : bâtiments peints aux couleurs du PDK, drapeaux du parti accrochés y compris à l’intérieur des tentes, casquettes à la même effigie.

Drapeau aux couleurs du PDK, camp de Qushtapa, juin 2014 © Charlotte Watelet

Drapeau aux couleurs du PDK, camp de Qushtapa, juin 2014 © Charlotte Watelet

Aucun autre parti n’est visuellement représenté. Leur présence est dissimulée et ne se découvre que par voie officieuse, dans les discours informels libérés par l’intimité de l’espace privé (les tentes). Tandis que dans les régions kurdes de Syrie l’hégémonie revient au Parti de l’Union Démocratique (PYD), branche syrienne du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), le gouvernorat d’Erbil est aux couleurs du PDK. La présence du PYD dans le camp est donc avouée mais atténuée et devient un sujet souvent conflictuel. Les discours locaux, ici celui d’un kurde irakien membre d’une organisation locale (Barzani Charity Foundation), présentent d’emblée le PYD comme perturbateur et dénoncent sa volonté hégémonique au Kurdistan syrien :

« Ils veulent toujours créer des problèmes. Ils veulent le contrôle en Syrie, au Rojava et avoir l’ensemble de la population sous leur joug, devenir les leaders ».

Dès lors qu’il intègre les conversations, le PYD se confronte automatiquement à des condamnations. Dans le camp, l’hégémonie du PDKS se construit en partie sur la stigmatisation du PYD dont les réflexes militaires sont désapprouvés.

Les camps, premier théâtre des recompositions intra-kurdes

Il ne faut pas omettre une éventuelle stratégie de dissimulation de la part du PYD qui, malgré sa présence, cherche à rester invisible dans les zones affiliées au PDK. Il n’en reste pas moins que le monopole du PDKS est le fait d’affinités locales et de cooptation politique. Un système se pérennise, traduisant une réappropriation de l’espace par le PDKS qui profite de ses alliances locales pour assurer sa visibilité et son pouvoir dans la sphère syrienne. Cette pratique s’effectue par le biais des réfugiés eux-mêmes. Contrôlé par une police gouvernementale affiliée aux couleurs politiques locales, le camp de Qushtapa se divise en quatorze secteurs représentés par sept réfugiés ayant chacun deux secteurs en charge. Ces derniers sont officieusement choisis par le manager du camp, employé du gouvernement kurde qui, selon leurs dires, les rémunérait avant que les caisses ne soient vides. Appelés « enjûmân » ils représentent officiellement les réfugiés de leurs secteurs et sont chargés de distribuer des dons faits par des particuliers. Décrite comme un comité de service par les instances locales, l’organisation des enjûmâns est utilisée pour masquer un travail de recrutement politique. En plus d’une corruption visible dont elle est le relai – le manager du camp et la fondation Barzani utilisent par exemple les enjûmâns pour louer ou vendre des épiceries ou des tentes dans le camp à des réfugiés sans que les autorités ne se manifestent – elle permet aux représentants politiques d’effectuer leur travail dans la dissimulation. Les enjûmâns organisent régulièrement des réunions d’ordre officiellement humanitaire mais qui servent en fait de campagne politique. Ils ont également pour tâche de surveiller chacune des familles de leur secteur en rendant des rapports réguliers aux autorités du camp sur les sympathies politiques des réfugiés, et veillent surtout à ce qu’ils ne soient pas affiliés au PYD. Un représentant du PDKS décrit le rôle des enjûmâns (avril 2015) :

« L’organisation, ce que j’appelle enjûmân, travaille clandestinement. L’objectif est de ne pas laisser ces gens-là, comme ils sont réfugiés, collaborer avec les services de renseignements turcs ou iraniens, de rester dans le cadre de « al-party » (surnom du PDKS) […] donc cette organisation encourage les gens à rejoindre les peshmergas, et à être un membre du parti […] On se couvre donc par le biais des enjûmâns. Quand il y a un séminaire, moi je vais là-bas et je parle d’un sujet particulier, et là on ne dit pas que c’est l’organisation politique, on dit que c’est l’organisation des services civils. On travaille sous l’égide des enjûmâns ».

Cette dissimulation ne semble pourtant pas bénéfique pour les réfugiés refusant d’entrer dans cette logique. Mais ces pratiques ne traduisent pas uniquement un mode spécifique de structuration de l’échange social (Médard ; 2000). Elles reflètent également la pérennité des rivalités kurdes syriennes auxquelles les partis sont soumis et que l’exil, incarné par l’espace-camp, renforce (Tejel ; 2014). Symptomatique du territoire d’origine, le camp devient un morceau du Kurdistan occidental en exil. Suivant une dynamique semblable à celle des camps palestiniens dans lesquels la politique palestinienne s’est en grande partie formée (Doraï ; 2006), il s’aménage dans ce contexte en véritable théâtre de la scène politique kurde syrienne. Comme au Liban où les « camps et leurs habitants sont les symboles de l’activité politique palestinienne » (Doraï ; 2006 ; p. 169), les camps du KRG deviennent l’expression de l’activité politique kurde syrienne. Cette fragmentation politique qui se réajuste en fonction des couleurs politiques locales dévoile le caractère opportun de l’exil.

Tente ornée de drapeaux du PDK, camp de Qushtapa, juillet 2014, © Charlotte Watelet

Tente ornée de drapeaux du PDK, camp de Qushtapa, juillet 2014, © Charlotte Watelet

Une géographie de l’exil à l’image de la scène politique kurde

Le gouvernorat de Dohuk, sous la direction du parti de Massoud Barzani, est également sous l’omniprésence du PDKS dans chacun des camps de la région. A l’inverse, dans les camps du gouvernorat de Suleymanyie, dirigé par l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK), le leadership revient au PYD très proche de l’UPK. Le représentant du PDKS cité plus haut fait part de cette lutte d’influence à deux échelles – micro-locale : le camp de réfugiés, puis régionale –

« A Suleymanyie, c’est géré par le PYD. Il y a des enjûmâns aussi là-bas donc ce sont que des membres de PYD. Parce que c’est l’UPK qui dirige. Mais c’est très rare de trouver des membres du PYD dans les camps à Dohuk et Erbil. Nous en réalité, donc l’organisation politique, on a des projets pour les gens, enfin contre le PYD à l’intérieur des camps. Mais c’est toujours nous qui gagnons. On est les plus forts dans le camp […]. L’organisation civile, les enjûmâns, essaient de présenter des services en plus pour que les gens n’aillent pas vers le PYD. »

Bien qu’il s’agisse initialement d’une contrainte, l’exil est redéfini selon la localité dans laquelle il s’établit et se présente comme une opportunité pour les deux partis maîtres de la scène kurde syrienne. Ces derniers tentent d’utiliser l’influence des partis kurdes irakiens pour se renforcer politiquement et s’affaiblir mutuellement, ce qui se vérifie à la fois à l’échelle des camps et à l’échelle régionale.

Conclusion

On voit au moyen de cet exil que la géographie du Kurdistan irakien devient une clé de lecture du champ politique kurde syro-irakien qui se réactualise au travers de cette migration. Elle n’est plus seulement une opportunité pour les déplacés, mais aussi pour les acteurs locaux qui utilisent leurs cousins syriens pour asseoir leur hégémonie. La frontière syro-irakienne n’apparaît donc plus comme un obstacle mais comme une ressource permettant aux différents acteurs kurdes d’étendre leur influence. A la fois objet d’affrontements et de dynamiques collectives, l’espace kurde irakien devient une scène incontournable pour la question kurde à plus grande échelle.

Bibliographie

  • Agier M., 2002, Aux bords du monde, les réfugiés, Paris, Flammarion.
  • Agier M., 2008, Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Paris, Flammarion, Coll. La bibliothèque des savoirs.
  • Doraï K., 2006, Les réfugiés palestiniens du Liban, une géographie de l’exil, Paris, Editions du CNRS, coll. Moyen-Orient.
  • Medard J.F., 2000, « Clientélisme politique et corruption », Tiers-Monde, Tome 41, n°161, p. 75-87.
  • Quesnay A., et Roussel C., 2013, Avec qui se battre ? Le dilemme kurde, in Burgat F., Paoli B., Pas de printemps pour la Syrie, Paris, La découverte, p. 144-157.
  • Roussel Cy., 2012/2013, « La construction d’un territoire kurde en Syrie : un processus en cours », Maghreb – Machrek, n°213, p. 87-102.
  • Tejel Jo., 2014, « Les paradoxes du printemps kurde en Syrie », Politique étrangère, n°2 été, p. 51-61.
  • UNHCR, Profil Iraq, en ligne : http://www.unhcr.fr/cgi-bin/texis/vtx/page?page=4aae621d5fb&submit=GO [Page consultée le 20 mai 2015 ]
Pour citer ce billet : Charlotte Watelet, « L’exil : un enjeu politique. Le cas des réfugiés kurdes syriens au Kurdistan irakien », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), 16 mars 2016. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/7287

Charlotte Watelet est étudiante en deuxième année de master d’Études politiques à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) sous la direction d’Hamit Bozarslan. Elle a été boursière de courte durée à l’Ifpo Erbil (Juin-juillet 2014) et boursière de terrain Ehess (avril-mai 2015). Elle travaille sur un mémoire portant sur les réfugiés kurdes syriens au Kurdistan irakien. Cette recherche interroge plus spécifiquement l’exil comme un enjeu politique et utilise la micro-situation des camps de réfugiés comme une clé de lecture du champ politique kurde syro-irakien

Palestine, le rôle des ONG en question : De la portée théorique et politique d’une recherche

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En juin 2014, Sbeih Sbeih a soutenu une thèse, préparée sous ma direction dans le cadre du Laboratoire Printemps, sous le titre « La professionnalisation des ONG : entre logique d’engagement et pression des bailleurs de fonds ». Un ouvrage issu de cette thèse devrait paraître dans les mois qui viennent ; sans l’attendre, il me semble important d’évoquer cette recherche, de témoigner de la qualité du travail de terrain et du cadre théorique mobilisé, ainsi que de l’originalité de son apport scientifique. En effet, quelques publications s’en sont récemment inspirées, sur un registre beaucoup moins analytique, sans toujours lui rendre pleinement justice. C’est en particulier le cas d’un ouvrage de vulgarisation de Julien Salingue qui en reprend les concepts, les références et le matériau, sans véritablement en maîtriser la portée. Il serait dommage que cela porte préjudice à l’original et il est d’autant plus urgent de rendre compte de la nuance et de la richesse de la recherche de Sbeih.

Panneau de présentation d’un projet de l’USAID – Bethléem, juillet 2009. Cliché : S. Sbeih

Panneau de présentation d’un projet de l’USAID – Bethléem, juillet 2009. Cliché : S. Sbeih

Professionnalisation

Sous le titre indiqué plus haut, la thèse analyse la façon dont l’arrivée des financements internationaux a transformé l’action associative. L’hypothèse initiale d’une dépolitisation et d’un affaiblissement de la lutte nationale, au nom de la professionnalisation, se précise dans les termes d’une « reconfiguration et (d’une) rationalisation du politique », résultant du renversement du système de valeurs dominant, et du rapport entre « logique professionnelle » et « logique militante ».

Pour construire sa démonstration, Sbeih Sbeih compare quatre associations impliquées diversement dans des projets de développement. Son hypothèse imposait de confronter plusieurs cas d’associations dont l’origine et l’histoire auraient été différentes, mais qui toutes auraient été irrésistiblement incitées à se soumettre à la logique, aujourd’hui hégémonique, du projet (de développement) et de la professionnalisation, du fait du recours de plus en plus important aux bailleurs internationaux. Ayant tôt repéré une telle évolution dans l’action du YMCA, association chrétienne d’origine britannique, présente en Palestine depuis la fin du 19e siècle, le choix d’une association musulmane s’imposait. Ayant sélectionné l’Association Islamique, l’auteur a été en butte à un certain nombre de difficultés du fait de ses liens supposés avec le Hamas. Sa fermeture en 2008-09, en pleine période du travail de terrain, a réduit fortement les possibilités d’enquête. Cela ne l’a pas empêché de rassembler des informations extrêmement précieuses qui lui ont permis de proposer d’utiles éléments de comparaison. Le PARC, né dans les années 1980, et la plus connue des ONG palestiniennes de développement, avait déjà été étudié longuement par Caroline Abou Saada, et du fait de son caractère emblématique, Sbeih s’est proposé de le revisiter. Le Palestinian Center for Peace and Democracy (PCPD), enfin, né à la veille d’Oslo, est représentatif d’une dernière génération d’ONG dont l’action s’oriente vers les questions de droit et le plaidoyer.

Appréhendée de façon critique, la professionnalisation, comme valorisation de certaines compétences, dans le contexte de l’afflux des financements extérieurs, est analysée à trois échelles :

  • l’échelle (méso) de l’association en tant qu’organisatrice de l’action : une action fondée originellement sur le bénévolat, dont l’analyse montre comment la « professionnalisation » en transforme profondément les modalités, en même temps qu’elle transforme les rapports de pouvoir au sein de l’association
  • l’échelle macro du monde social, du glissement du projet national vers un projet universel de développement, à travers la construction du « monde du développement », et de l’idéologie qui l’accompagne, dont la « professionnalisation », comme rationalisation et dépolitisation, en est le cœur
  • enfin, l’échelle micro des trajectoires individuelles, et de la construction de carrières combinant et opposant militantisme, bénévolat, professionnalisme, et bouleversant les relations de pouvoir et la position des individus dans le champ associatif et dans le champ du pouvoir.

Interactions ONG-Bailleurs

Le fil conducteur est la question du rôle des bailleurs de fonds, des interactions ONG-Bailleurs, et des implications de leur poids croissant dans la définition des objectifs de l’action de ces ONG, qui se traduit pas une « injonction à la professionnalisation », synonyme de « rationalisation », dont le poids se fait sentir dès les années 1980 et qui deviendra très largement hégémonique après Oslo.

La thèse s’est donc déployée en trois grandes parties, traitant successivement de l’association comme organisation, du projet (et des réseaux sur lesquels il s’appuie), et la des trajectoires d’engagement.

La première partie discute l’émergence et l’évolution du monde associatif, à partir d’une interrogation sur la nature de l’intérêt collectif des associations, notion centrale pour comprendre le projet associatif. Cette évolution est illustrée à travers le cas des quatre associations, dont l’histoire s’enracine dans des périodes successives de l’histoire de la Palestine. Sbeih montre comment la dépendance financière à l’égard des bailleurs remplace progressivement, à partir des années 1980 et 1990, la dépendance à l’égard des partis et organisations politiques, modifiant radicalement le rapport au politique.

Il introduit le concept de « champ associatif », inspiré par la théorie du champ de Bourdieu, dont l’analyse complète celle de l’organisation du travail associatif. Ce choix conceptuel lui permet d’inscrire le changement au sein des associations dans le contexte plus large des mutations du monde des ONG. Il met en évidence la mutation dans le système de valeur dominant dans ce champ, opposant capital militant et capital professionnel, et la position du champ associatif dans le champ du pouvoir, en tension entre champ économique et champ politique. Cette distinction lui a offert un fil conducteur tout au long de la thèse, et ce, jusqu’à l’analyse du devenir professionnel et militant de ses acteurs associatifs, dans la dernière partie.

Dans les chapitres suivants est mis en évidence, suite à l’afflux des financements extérieurs, le basculement d’une dépendance à l’égard du politique vers un autre type de dépendance à l’égard des bailleurs et des nouvelles normes gestionnaires imposées par les bailleurs.

La seconde partie situe cette évolution au niveau de l’espace social, et analyse la montée en puissance de ce que l’auteur nomme le « monde du développement » (en s’inspirant de Boltanski), dont les deux piliers pratiques sont le travail par projet et le fonctionnement en réseau (réseaux institutionnalisés dans les « grandes structures », et réseaux personnels débordant ces structures dans le champ du pouvoir, s’inscrivant par ailleurs à l’international). Ce monde du développement s’appuie sur une rhétorique de la rationalité gestionnaire qui dépolitise l’action. Fondée sur l’intériorisation des normes et la mise en place de dispositifs d’évaluation, la professionnalisation apparaît ici au cœur de la logique et de l’« esprit » de ce monde. Bien plus, s’inspirant de Boltanski, Sbeih montre que la force du discours de justification du monde du développement réside dans sa capacité à intégrer une « critique correctrice », face à laquelle la « critique contestataire » est impuissante et n’a d’autre choix que de s’exclure du nouveau monde en construction.

L’analyse que Sbeih propose ici des « grandes structures », ou méga-ONG fédérant d’autres ONG autour d’un projet, constitue un autre apport original et stimulant de ce travail, lorsqu’il montre l’institutionnalisation de la logique de réseau et son articulation à celle du projet poussée à la limite : l’exemple du NGO Development Center (NDC), « projet de la Banque Mondiale », qui n’est rien d’autre qu’un projet de mise en réseau d’acteurs et d’organisations sans contenu d’action concrète, révèle l’emballement de cette logique gestionnaire de projet. De même, l’analyse de la mise en œuvre du projet et des relations entre bailleurs et bénéficiaires met en lumière une « individualisation » de ces derniers coupée de la réalité sociale, et un aveuglement remarquable vis-à-vis de cette réalité.

L’articulation des réseaux institutionnalisés dans les grandes structures et des réseaux personnels de pouvoir, l’internationalisation de ces réseaux, le rôle du NDC vont dans le sens de la mise en place d’une gouvernance internationale palliant l’absence d’État, et contournant l’option de construction d’un État.

La troisième partie montre comment les processus analysés dans les deux précédentes se traduisent dans les histoires de vie des individus engagés dans l’action au sein des associations devenues ONG. Elle met en évidence des mécanismes d’ascension et de promotion dans le monde du développement, ou de déclassement et de marginalisation, selon le degré d’adhésion au modèle « universel » de « professionnalisation » qui y est promu. Plutôt que de se limiter à l’observation des stratégies des individus, l’auteur les inscrit fortement dans le basculement des valeurs et des hiérarchies qu’il a observées précédemment. Ceux qui adhèrent aux valeurs du monde du développement peuvent ainsi devenir de « grands professionnels du développement », tandis que la profession emblématique y est désormais celle de développeur. Mais la conversion est plus ou moins aisée selon le type de capital dont disposent les individus : le capital militant se transforme en handicap, et ceux qui font le choix de la critique contestataire se placent volontairement hors du monde du développement, et en marge du champ associatif, désormais dominé par les développeurs.

Conclusion

Ainsi, l’approche microsociologique, au niveau des individus, l’analyse de leurs trajectoires militantes et professionnelles, au sein du monde associatif, des déclassements et reclassements relatifs de leurs positions dans la hiérarchie du monde du développement, éclairent-elles les processus observés au niveau de l’association ou plus largement du monde du développement et du monde social.

Après avoir montré l’enjeu (et la complexité) du processus de professionnalisation au niveau du travail des associations, puis son contenu idéologique dans le monde du développement, Sbeih met en évidence sa traduction dans les trajectoires de ses acteurs, et dans l’évolution de leurs positions dans le champ associatif et dans le champ du pouvoir.

L’originalité et l’apport de cette thèse résident tant dans le fait de prendre au sérieux la professionnalisation d’un point de vue sociologique, que dans la capacité à articuler l’analyse aux différentes échelles, et dans l’effort de théorisation déployé. En amont des effets de l’occupation israélienne, est mis en évidence un mécanisme par certains aspects infiniment plus lourd, parce qu’invisible, de domination et de délégitimation de la lutte nationale.

Bibliographie

    • Abu-Sada C., (2013). ONG palestiniennes et construction étatique : L’expérience de Palestinian Agricultural Relief Committees (PARC) dans les TPO, 1983-2005. Beyrouth: Presses de l’Ifpo.
    • Salingue J., (2015). La Palestine des ONG. Entre résistance et collaboration, Paris : La Fabrique.
    • Sbeih S., (2014) La professionnalisation des ONG : entre logique d’engagement et pression des bailleurs de fonds, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines (téléchargeable sur : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01220122)

 

Pour citer ce billet : Élisabeth Longuenesse, « Palestine, le rôle des ONG en question : De la portée théorique et politique d’une recherche », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), le 22 juillet 2016. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/7348

Élisabeth Longuenesse a été directrice du Département scientifique des Études contemporaines de l’Ifpo (2009-2013). Elle est depuis membre du Laboratoire Printemps, à l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines. Sociologue, spécialiste des questions du travail et du syndicalisme au Proche-Orient, elle est impliquée dans une réflexion sur la traduction en sciences humaines et sociales, en coopération avec Transeuropéennes.

Page personnelle sur ifporient.org

Tous les billets d’Élisabeth Longuenesse

Experts et expertises dans les mandats de la Société des Nations : figures, champs et outils À propos du colloque INALCO/Lyon 3/Ifpo

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De l’ère coloniale à celle des politiques publiques internationales dans les Suds, l’expertise a joué un rôle croissant dans l’ordre international au vingtième siècle. Notion paradoxale, réputée instrumentale en vue de l’information et de l’amélioration de l’action publique, elle englobe tout un champ de modalités opposées du savoir et de son énonciation. L’expertise se situe entre le savoir d’expérience et le savoir nomothétique abstrait, la recherche et l’autorité, elle est intéressante à étudier dans le cadre du premier système d’organisations internationales et de la crise concomitante des empires coloniaux. Le système mandataire, conçu initialement comme un cadre de mise en œuvre d’une colonisation scientifique, lui a fourni un espace où se déployer. Cette idée a inspiré les historiens représentant le champ émergent des études mandataires réunis en colloque (INALCO- Ifpo – Université Lyon 3 – Institut Universitaire de France) à Paris les 26 et 27 mars 2015. Les mandats sont récemment devenus un des principaux points de convergence des questionnements sur la diffusion globale des normes à travers les instances internationales. L’expertise est lue comme l’un des signes d’un colonialisme tardif, codifié, et placé sous les regards convergents des savants, des États et des opinions publiques. À travers les mandats de la Société des Nations (SDN), le colloque entendait scruter l’émergence de l’international comme cadre de prise de décision inter-étatique, ouverte et procédurale encadrant un monde de connexions, de flux et de structures enchevêtrés à diverses échelles.
L’expertise est souvent accusée d’être la fabrique du consentement dans un ordre international asymétrique, alors même qu’elle prétend faciliter les équilibres mondiaux par la comparaison internationale. Elle obéit cependant aussi à ses propres logiques : de reconnaissance institutionnelle, d’allégeance politique et de légitimité disciplinaire. Les présentations de ce colloque ont posé la question du mandat comme antécédent politique et administratif des politiques de développement mises en œuvre par le système des Nations-Unies, les gouvernements coloniaux et les grandes puissances, mais aussi comme moment de trajectoires professionnelles et comme occasion d’accumulation de savoir.

Trois questions ont dominé le colloque : les rapports entre épistémologie des sciences coloniales et des sciences élaborées en contexte métropolitain ; la diversité des lieux de production de l’expertise ; et l’influence de la vision évolutionniste « civilisatrice » inscrite dans le mandat sur les domaines d’expertise développés.

1 – Le système mandataire et l’expertise

Le système mandataire est élaboré au lendemain de la Grande guerre, dans les provinces arabes de l’Empire ottoman et les anciennes colonies allemandes, pour répondre aux critiques de la colonisation d’avant 1914. Ses modalités se sont établies au gré des circonstances, comme l’a souligné Véronique Dimier en introduction. Il se caractérise par un va-et-vient entre des administrations mandataires appliquant une politique coloniale et les institutions internationales. Le mandat bénéficie d’une instance d’examen, la Commission Permanente des Mandats (CPM), dont les membres, réputés indépendants vis-à-vis des États, tendaient souvent à lui donner un rôle politique effectif plutôt qu’une fonction d’analyse comme l’a souligné Susan Pedersen. La demande d’expertise a cependant bientôt débordé ce cadre étroit.
Avec les mandats est censée se mettre en place une architecture de gouvernement colonial, dans laquelle la production du savoir doit guider l’action publique – architecture qui sera instaurée parfois avec retard ou difficulté. Le système mandataire n’est pas qu’un instrument de rationalisation de la colonisation, tant il perd rapidement toute valeur de modèle colonial. Il ne se réduit pas non plus à une arène où se joueraient des rapports de pouvoirs : l’accumulation des savoirs relatifs aux territoires administrés y est un enjeu politique central. L’expertise n’est pas qu’une exigence bureaucratique du système mandataire ou un habillage de la colonisation traditionnelle.

2 – Experts et communautés épistémiques

Le premier atelier a dégagé une diversité de figures d’experts – administrateurs coloniaux, publicistes, économistes, médecins et religieux, etc. -, questionnant leurs modes de qualification. À rebours de l’image de communautés bureaucratiquement organisées selon des critères de validation des savoirs et des compétences, certains producteurs d’expertises n’ont pas de formation académique étoffée, à l’instar de Théodore Marchand, gouverneur du Cameroun (Daniel Abwa). D’autres, comme Léon Mourad, économiste qualifié, placé au cœur d’un réseau exceptionnel dans le mandat français du Levant, ont pu ne laisser qu’une trace archivistique évanescente et exercer un rôle indéterminé, apparemment marginal (Geoffrey D. Schad). Des hommes appuyés par des groupes de pression, comme Robert de Caix, peuvent court-circuiter toute voie bureaucratique et arriver au centre du système, sans voir contester leur expertise (Julie d’Andurain). L’expertise et surtout la contre-expertise sont aussi sollicitées auprès d’hommes de terrain comme les missionnaires A. Paterson et E.D. Forster en Palestine. Cette invitation s’opère à rebours de la logique du système et place les missionnaires, nommés eu égard à leur connaissance approfondie des sociétés locales, en position d’informateurs lors des révoltes contre l’administration mandataire (Karène Sanchez). Quintino Lopes montre à partir du Portugal de Salazar que nommer un expert à la SDN n’est pas toujours une contribution à la formation d’une communauté d’expertise influente, mais peut être un moyen d’éloigner un expert encombrant d’une administration publique nationale, ou de se libérer des demandes de la SDN en vue d’une implication accrue des États membres dans le recrutement du personnel. Si une communauté épistémique se structure autour des mandats, c’est moins autour du savoir sur ces territoires que par la maîtrise d’un savoir-faire auprès des administrations coloniales et face à des procédures internationales transformant l’approche des “problèmes coloniaux”. Avec les mandats, la SDN définit le bien-être des populations et l’adhésion à des agendas internationaux comme critères de légitimité de la colonisation, soumettant cette dernière au tribunal de l’opinion publique à travers les instances de la communauté internationale. La communauté des spécialistes des mandats ne fonctionne pas comme une arène laissant les experts entre eux, en dépit de la préférence de la CPM pour la discrétion lors des discussions.
Dans quelles mesures les objets abordés par cette communauté épistémique distendue formaient-ils une science du gouvernement colonial ? Le deuxième atelier a montré l’importance des variations d’échelon dans la production de champs d’expertise. L’ordre mandataire hiérarchise les savoirs, juridiques par exemple, comme le montre la création d’un comité d’experts pour le statut légal des femmes, le système légal occidental faisant référence à l’exclusion de conceptions « orientales » (Nova Robinson). L’expertise agricole en Syrie et au Liban, elle aussi hiérarchique, révèle les enjeux hétérogènes, nationalistes et impériaux, des relations entre experts et communautés locales (Elizabeth Williams). Des champs de savoir émergent à l’intérieur des obligations internationales poursuivies par la puissance mandataire, non par l’effet mécanique de celles-ci mais par la concentration d’expérience opérée de façon informelle par certains participants au travail d’enquête, dans le champ de la protection de l’enfance (Julia Shatz) ou de la répression de la traite des femmes (Liat Kozma). Les savoirs ainsi produits sont orientés par les agendas internationaux, dont ils reflètent les limites et les amalgames, mais même biaisés, ils sont autre chose qu’une ignorance béante. Dans l’entre-deux-guerres, des réseaux internationaux d’experts se forment et élaborent des normes progressivement institutionnalisées : les mandats du Proche-Orient, qui accordent d’emblée de l’importance à l’archéologie, occasionnent un débat sur les critères internationaux de propriété des matériaux extraits des fouilles (Sarah Griswold), révélant un besoin d’experts à la jonction de la spécialité scientifique et du droit, ce qu’on voit également dans le cas de politiques instaurées au fil de l’époque mandataire, comme la prohibition du cannabis.
Le mandat constitue, pour divers producteurs d’expertises aux objectifs scientifiques et politiques convergents avec les siens, une ouverture vers un débat public informé. Non content d’être un système de production d’expertise par la concentration de compétences et de savoirs techniques, le système mandataire apparaît comme un système pénétré par l’expertise.

3 – L’expertise comme outillage du politique ?

Les deux derniers ateliers ont rappelé que l’expertise est toujours activité politique. Elle s’élabore par le consentement et la soumission à des règles communes élaborées sur la base de « preuves ». Lors du premier de ces deux ateliers sur les outils de l’expertise, Roser Cussó a souligné que les indicateurs quantitatifs utilisés dans les rapports mandataires répondent à des normes maîtrisées par des acteurs qui vont au-delà du groupe des experts reconnus. Les réalités à mesurer sont l’objet d’une négociation où l’exigence de quantification comme instrument de rationalisation de la décision le dispute à la peur de l’effet de vérité des chiffres. Fuat Dündar a montré ce même processus dans les débats démographiques sur le tracé de la frontière turco-irakienne. La définition des catégories préalables au dénombrement est essentielle, telles la citoyenneté et la nationalité, qui intéressent autant les pouvoirs mandataires que les experts de la SDN (Lauren Banko). L’ambiguïté et le contenu colonial de ces catégories apparaît aussi localement autour de l’application à la Nouvelle-Guinée de la citoyenneté allemande, de la notion de germanité et des théories raciales d’une Allemagne germanophone et blanche (Christine Winter). Les administrations mandataires, tenues d’exhiber des résultats politiques, sont un des cadres privilégiés où les experts peuvent travailler ces catégories, ainsi l’anthropologue Alfred Cort Haddon et l’Institut royal d’anthropologie en Nouvelle-Guinée (Geoffrey Gray).
Le dernier atelier a posé la question des réappropriations de l’expertise par des acteurs hostiles à la colonisation et à son ordre racial (Ananda Burra et (in absentia) Alvine Assembe Ndi). De leur côté, les pouvoirs mandataires, l’Afrique du Sud en tête, réagissent en se réappropriant aussi l’expertise pour justifier leur mandat mais finissent par la mettre en scène jusqu’à la parodie (Robert Gordon). En Irak et en Palestine, à la faveur du mandat, de nouveaux types d’experts en éducation trouvent à faire valoir leurs idées à travers les délimitations mandataires (Hilary Falb Kalisman). Un moyen de se prémunir contre la contestation du contrôle international et colonial est de détourner le traitement des questions sensibles vers des institutions internationales secondaires, comme le Bureau International du Travail (Emma Edwards).
Susan Pedersen a invité en conclusion à se défier de l’abus de la catégorie “expertise”, toujours hétérogène, parfois trompeuse, surtout dans les Suds où ces savoirs sont parfois de l’habillage. La demande d’expertise internationale dans les mandats a cependant créé des répertoires d’action protéiformes. Elle a produit depuis l’entre-deux-guerres des « conséquences inattendues » mais majeures, limitant l’absolue souveraineté des États et hâtant la décolonisation en montrant les dysfonctionnements des systèmes coloniaux.

Bibliographie

    • Dakhli L., (2011). « L’expertise en terrain colonial : les orientalistes et le mandat français en Syrie et au Liban »,  Matériaux pour l’histoire de notre temps,  n° spécial La France en Méditerranée.
    • Dimier V., (2004). «Le gouvernement des colonies, regards croisés franco-britannique », Presses Universitaire de Bruxelles.
    • Fischbach M., (2000). « State, Society and Land in Jordan »,  Leiden , Boston, Köln, Brill.
    • Jackson S., (2013). « The ‘Huvelin Mission: economic morality and the French imperial project in the Mashriq », 1919-1920 , Monde(s): histoire, espaces, relations, (4), Vol. 2, no 4 Fall..
    • Méouchy N et  Slugleit P (ed), (2004).  « British and French Mandates in Comparative Perspectives », Leiden, Brill Academic Publishers.
    • Mitchell T., (2002). « Rule of Experts. Egypt, Techno-Politics, Modernity » , Berkely, University of California Press.
    • Pedersen S., (2006). « The Meaning of the Mandates System: An Argument », Geschichte und Gesellschaft 32, 4 (Oct-Dec.), p. 560-82..
Pour citer ce billet : Philippe Bourmaud, Norig Neveu, et Chantal Verdeil « Experts et expertises dans les mandats de la Société des Nations : figures, champs et outils À propos du colloque INALCO/Lyon 3/Ifpo», Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), le 4 janvier 2017.
[En  ligne]
http://ifpo.hypotheses.org/7419

Philippe Bourmaud est maître de conférences à l’Université Jean Moulin – Lyon 3 et membre du Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (UMR 5190). Son travail de thèse a porté sur la réforme de la profession médicale dans les provinces arabes de l’Empire ottoman. Il a également travaillé sur l’histoire des sociabilités interconfessionnelles et festives en Palestine depuis le dix-neuvième siècle et sur la formation du système de santé palestinien depuis les accords d’Oslo (1993). Cette double focale sur l’histoire de la médecine et l’histoire contemporaine de la Palestine et des Palestiniens l’a conduit à se pencher dans son travail de recherche sur la construction des problèmes sanitaires et sociaux au Proche-Orient arabe, de l’Empire ottoman aux mandats.


Norig Neveu est chercheuse à l’antenne d’Amman de l’Ifpo. Après un doctorat d’histoire contemporaine à l’EHESS sur « Les politiques des lieux saints et la topographie sacrée dans le sud de la Jordanie, XIXe-XXe siècles », sa recherche actuelle porte sur les figures du religieux en Jordanie et dans les Territoires palestiniens de la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Ces thématiques de recherche sont abordées sur le temps long ce qui lui permet d’analyser les processus de territorialisation et de confessionnalisation des sociétés locales mais aussi la structuration de réseaux transnationaux de solidarité entre figures du religieux. Diplômée d’arabe classique à l’INALCO, elle a publié plusieurs articles sur le tourisme religieux en Jordanie et sur le processus de mise en patrimoine des lieux saints.

Page personnelle sur ifporient.org


Chantal Verdeil est maître de conférences en histoire contemporaine du monde arabe à l’INALCO (département « Études arabes ») et membre junior de l’IUF. Ses travaux portent sur l’histoire des missions chrétiennes dans le monde arabe et au Moyen-Orient, ainsi que sur l’histoire de l’enseignement à l’époque contemporaine (XIXe-XXe siècle). Elle a notamment publié C. Verdeil, Missions chrétiennes en terre d’islam (XVIIe-XXe siècle), Turnhout, Brepols, 2013 et en collaboration avec Anne-Laure Dupont et Catherine Mayeur-Jaouen, Histoire du Moyen-Orient du XIXe siècle à nos jours, Paris, A. Colin, 2016.

Le septième congrès du Fatah : entre affirmation d’autorité et perte de légitimité pour Mahmoud Abbas

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Logo du 7e congrés du Fatah

Logo du 7e congrès du Fatah

Le septième congrès du Fatah s’est tenu à Ramallah du 29 novembre au 6 décembre 2016, en présence de 1400 délégués. Organisé pour renouveler les membres des deux instances du parti, le Comité Central (CC, corps exécutif du mouvement – 18 membres élus) et le Conseil Révolutionnaire (CR, assemblée du Fatah – environ 80 membres élus), la réunion du congrès est intervenue dans un contexte de rivalités internes liées à la succession de M. Abbas, âgé de 81 ans.

Sa succession à la tête du Fatah et de l’Autorité palestinienne (AP) est devenue un enjeu de lutte pour le pouvoir. Lors de ce congrès, le principal objectif pour M. Abbas était de sécuriser son héritage politique, en assurant sa réélection et en évinçant ses principaux opposants.

En se faisant reconduire à la tête du Fatah, M. Abbas a renforcé sa position et assis son contrôle sur le parti. Malgré tout, il a perdu beaucoup de crédit politique du fait de la gestion autoritaire de sa direction et du maintien des lignes politiques qu’il défend mais qui n’en demeurent pas moins contestées au sein du Fatah. La politique qu’il mène depuis plus de dix ans à la tête de l’AP et qui n’a pas empêché le maintien de l’occupation israélienne, est devenue très impopulaire, affectant directement sa légitimité. L’un des enjeux du congrès du Fatah était donc aussi celui du pouvoir sur l’AP. En outre, les rares débats qui auraient pu donner des gages à l’opposition sur la fonction des institutions, la transparence des procédures de nomination et la capacité des membres élus à rendre des comptes n’ont trouvé aucune traduction institutionnelle à l’issue du congrès.

Cette réunion apparaît comme une remise en ordre politique de M. Abbas, par étape et à son profit, de la base vers le national. En marginalisant ses opposants au sein du Fatah, M. Abbas les prive de la visibilité que la structure partisane leur offrirait lors des échéances politiques à venir. En effet, le congrès du Fatah intervient dans un contexte où les grands rendez-vous politiques palestiniens sont systématiquement reportés. Que ce soit en raison des ingérences israéliennes ou des tensions liées au processus de réconciliation, les partis ont le plus grand mal à s’accorder sur leurs modalités d’organisation, comme l’illustrent le report de la réunion du Conseil National Palestinien et de celui des élections municipales et législatives. Réunir le congrès était également un moyen pour la direction du Fatah de redéfinir une stratégie politique. En octobre 2015, le début de l’ « Intifada des couteaux » a mis en évidence l’isolement des auteurs des attaques qui ne se reconnaissent pas dans les partis traditionnels. L’impuissance de ces derniers à incarner un renouveau politique traduit, plus généralement, l’incapacité du mouvement national à se réinventer et à trouver une alternative politique au processus d’Oslo.

L’étude des évolutions du Fatah s’inscrit dans mon travail de doctorat sur les mouvements d’opposition au sein de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) depuis 1993. En 2009, lors de son dernier congrès, le Fatah, membre de l’OLP, ne s’était plus réuni depuis 20 ans. La difficulté pour les partis palestiniens de se réunir, en raison notamment de la dispersion de leurs membres et des entraves à leur circulation, donne à ces temps politiques une résonance particulière. Ils entérinent des évolutions anciennes et fournissent des indicateurs sur les politiques à venir.

1. Le renouvellement en trompe-l’œil du Comité Central et la succession de M. Abbas

L’élection d’un nouveau Comité Central devait donner des indications sur les potentiels successeurs de M. Abbas à la tête du Fatah, et donc éventuellement de l’AP. Peu avant les débats, la possible nomination d’un vice-Président du Fatah était apparue comme une manière indirecte de désigner parmi ses proches le futur successeur du président.

Parmi les 18 membres élus du Comité, on compte 6 nouveaux entrants et 12 réélus en plus de M. Abbas dont le mandat a été renouvelé par acclamation (comme en 2009) au premier jour du congrès. Par ailleurs, pour la première fois, trois leaders historiques du Fatah ont été nommés membres honoraires à vie du CC : M. Ghnaym et S. al-Zaanun, tous deux anciens membres du CC de 2006, et F. al-Qaddumi, membre du Comité Exécutif de l’OLP. Avec ces trois nominations, le nouveau CC compte désormais 22 membres.

En l’absence de vice-président élu ou nommé, ceux qui ont obtenu le plus de voix semblent privilégiés en cas de succession, même si aucune procédure formelle n’existe. C’est le cas de Marwan al-Barghouti (élu en première position), emprisonné en Israël depuis 2002 et aujourd’hui très populaire. S’il est l’une des rares figures à pouvoir rassembler au-delà du parti, ses chances de succéder à M. Abbas demeurent néanmoins limitées tant l’éventualité d’une libération paraît faible. Jibril Rajoub (2nd), militant historique du Fatah, ancien chef de la sécurité préventive en Cisjordanie, serait quant à lui en position de force du fait de sa popularité au sein du parti. Ce dernier s’est néanmoins légèrement détourné, au moins en apparence, des jeux politiques classiques après sa défaite aux élections législatives de 2006. En cas d’absence de candidat consensuel pour la succession, Nasser al-Qidwa (11ème), neveu de Yasser Arafat et longtemps ambassadeur de la Palestine à l’ONU, pourrait être un recours.

En outre, l’élection des nouveaux membres du CC conforte l’idée d’une absence de renouvellement de leadership au sein du Fatah. Il n’y a pas non plus renouvellement générationnel au sein du CC puisque l’âge moyen de ses membres passe de 63 à 64 ans entre 2009 et 2016.

Ces jeux internes au Fatah sont surtout l’expression d’une incertitude chronique liée à la succession de M. Abbas à la tête des organes qu’il dirige (Fatah, AP, OLP). Ils ne doivent pas faire oublier d’autres figures importantes du leadership palestinien, marginalisées des centres décisionnels ou extérieures au Fatah, qui pourraient elles aussi revendiquer une légitimité à diriger l’un (ou l’ensemble) de ces organes. Les noms de M. Dahlan, A. al-Quri, S. Fayyad, Mustafa al-Barghouti, M. Farraj ou encore, plus récemment, Kh. Mishaal reviennent fréquemment.

2. Une opposition provisoirement neutralisée

La tendance qu’a eue M. Abbas à personnaliser le pouvoir et à museler toute opposition a franchi une étape supplémentaire lors de ce congrès. La tension s’est polarisée autour de M. Dahlan, ancien membre du CC, en exil depuis 2011 et actuellement installé à Abu Dhabi. La mise à l’écart de ses soutiens était l’un des enjeux de la réunion alors que les deux hommes s’accusent réciproquement de corruption, sur fond de rivalité politique.

Au-delà du retard pris dans l’organisation du congrès, évoqué par les membres du Fatah pour justifier son organisation, ce sont les manœuvres politiques de M. Dahlan qui semblent avoir fortement contribué à « accélérer » sa tenue afin d’écarter ses partisans au sein du Fatah. Cette tension s’est manifestée au mois d’octobre lorsque le Quartet arabe – Égypte, Jordanie, Arabie Saoudite et Émirats Arabes Unis – a tâché de faire pression pour autoriser le retour en Palestine de M. Dahlan. Les tensions avec M. Abbas se sont ensuite exacerbées à la mi-octobre lors d’une conférence ad hoc du National Center for Middle East Studies, organisée officieusement par M. Dahlan à Ayn Sukhna (Égypte) sur l’avenir de la question palestinienne. Cette dernière avait été considérée par la présidence de l’AP comme une « interférence » des pays arabes dans les affaires palestiniennes.

Le choix des membres invités au congrès a été l’outil principal de la marginalisation des opposants des instances du parti puisque seuls les congressistes étaient autorisés à participer au vote. Ce choix, réalisé par un Comité préparatoire, s’est officiellement porté sur les élus (membres de districts, comités locaux, etc.) et les personnes mandatées par le Fatah (représentants des commissions) auxquels des points ont été attribués en fonction de différents critères (ancienneté, fonction, « réalisations »). Entre le congrès de Bethléem (2009) et celui de Ramallah, le nombre des congressistes est passé de 2265 à 1400. En 2009 pourtant, le nombre de participants avait presque doublé (de 1252 à 2265) pour, à l’époque, diluer l’opposition. Le choix des membres invités à participer au congrès était donc éminemment politique.

Le fait que la mise à l’écart de l’opposition incarnée par M. Dahlan soit omniprésente, notamment dans la presse, a d’ailleurs fortement contrasté avec le silence des membres du congrès sur ce sujet. Ces derniers se sont attachés à recentrer les débats sur le programme politique et le rôle des institutions.

3. La réaffirmation de la ligne idéologique et de la stratégie diplomatique du Fatah

Le 30 novembre, dans un long discours adressé aux membres du congrès, M. Abbas a défendu le bilan de sa politique dans un exposé relativement classique, oscillant entre le rappel de l’héritage révolutionnaire du Fatah et celui de la défense de son bilan à la tête de l’AP. Il a réaffirmé les grandes orientations des vingt dernières années, fondées sur le respect du droit international. Elles devraient constituer son programme pour les cinq années à venir : poursuite du dialogue avec Israël et d’une solution négociée (négociations multilatérales et soutien à l’initiative française), défense de la « résistance populaire pacifique », maintien de la politique d’adhésion aux instances internationales et de la solution à deux États, rejet des phases intérimaires, non reconnaissance du caractère juif de l’État d’Israël.

Ce faisant, M. Abbas réaffirme sa stratégie politique extérieure fondée sur la diplomatie internationale qui a connu son apogée en novembre 2012 lors de la reconnaissance à l’ONU de la Palestine comme État observateur non membre. Cette logique légaliste de recours systématique au droit international n’a en pratique aucun effet puisque la colonisation n’a cessé de s’étendre en Cisjordanie. La volonté de M. Abbas d’apparaître comme un interlocuteur légitime et crédible auprès des Israéliens ne rencontre plus de soutien dans la société palestinienne. Celle-ci dénonce une forme de violence à vouloir imposer une démarche fondée sur le dialogue avec Israël face à un système colonial brutal. Cette « violence de la non-violence » se double d’une accusation de collusion incarnée par la coopération sécuritaire de l’AP avec Israël.

Enfin, les débats précédant le congrès, qui auraient permis à M. Abbas de revendiquer une modernisation de la structure du parti et de son fonctionnement, n’ont finalement pas été soumis au vote. Ils concernaient les modalités du scrutin et ses conséquences pratiques dans le fonctionnement des institutions : élection en deux temps, des membres du CR d’abord, puis des membres du CC par les membres du CR nouvellement élus, ce qui aurait permis de tenir le CC responsable devant le CR et non devant le congrès.

Conclusion

En l’absence d’avancée politique significative, il est peu probable que le discours de M. Abbas lors du congrès permette encore de rallier des sympathisants à la politique du Fatah et donc de l’AP. Ce rendez-vous confirme la politique menée par M. Abbas avec un maintien de la structure exécutive du Fatah et une mise à l’écart institutionnelle de ses opposants les plus visibles. Les deux questions qui étaient au centre de l’organisation du congrès demeurent. D’une part celle de la succession reste posée, et à moins d’une nomination surprise et/ou de la création d’un poste de vice-président du parti, M. Abbas devrait se maintenir à la direction du Fatah encore cinq ans. Compte tenu de son âge, cette question est cruciale alors que les commentaires décomplexés de la classe politique israélienne se multiplient,  menaçant d’annexer la Cisjordanie et de faire disparaître l’AP en cas de transition problématique. D’autre part, M. Abbas confirme l’orientation autoritaire de sa politique et réaffirme ses choix stratégiques pour le mouvement national sans parvenir à convaincre de sa légitimité à gouverner.

Bibliographie

Pour citer ce billet : François Ceccaldi, « Le septième congrès du Fatah : entre affirmation d’autorité et perte de légitimité pour Mahmoud Abbas », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), le 22 mars 2017. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/7463

François Ceccaldi

François Ceccaldi est doctorant en Études politiques à l’EHESS (CETOBaC), associé à la Chaire d’Histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France. Boursier à l’Ifpo-TP de 2014 à 2016, sa thèse porte sur les mouvements d’opposition au sein des factions de l’OLP depuis la signature des accords d’Oslo.

Page personnelle sir le site du CETOBaC

L’aide internationale dédiée à la jeunesse réfugiée au Liban du point de vue des acteurs locaux

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Logo du programme "Engaging with the youth of Syria" UNRWA

Logo du programme « Engaging with the youth of Syria » UNRWA

Le Liban a connu ces dernières années une augmentation considérable des flux de financement étrangers à des fins humanitaires ou de développement, pour des projets visant à la fois le sol libanais, avec son importante population de réfugiés, et le sol syrien. Il apparaît notamment que les « jeunes » sont un objectif prioritaire des projets financés par les bailleurs de fonds, et ce plus encore depuis 2011, alors que les soulèvements arabes ont largement été interprétés comme le fait d’une jeunesse en révolte contre son exclusion politique, économique ou sociale.

A partir de réflexions menées sur les effets de l’aide internationale dans le contexte palestinien [Labadi 2015], je me suis intéressé aux projets dédiés à la jeunesse réfugiée, palestinienne et syrienne, au Liban. Une enquête préliminaire réalisée fin 2016 dans le cadre d’une mission auprès de l’Ifpo à Beyrouth et du programme WAFAW (ERC) m’a permis de faire un premier état des lieux de la littérature ainsi que du terrain. J’ai ainsi pu (re)nouer quelques contacts et conduire plusieurs entretiens, pour la plupart informels, qui m’ont amené à préciser les contours d’un projet de recherche portant sur les procédés normatifs et de sujétion qui s’exercent dans le champ de l’aide et sur la façon dont ceux-ci impactent les discours et les pratiques des jeunes qui y sont impliqués. La question posée n’est donc pas tant celle de l’efficacité de ces politiques ou même de leur pertinence, que celle des rapports qui s’établissent à travers elles, ici tels qu’ils sont vécus et perçus par les jeunes réfugiés eux-mêmes ainsi que par d’autres acteurs locaux. Je présente ici mes arguments en faveur d’un tel projet.

Les jeunes réfugiés, objets de discours et de l’action publique

Rapports d’expertise ou travaux académiques, une imposante partie de la littérature traitant de la présence des réfugiés palestiniens et syriens au Liban est axée sur l’examen des conditions (politiques, légales, économiques, sociales…) de cette présence ainsi que sur les épreuves auxquelles ceux-ci sont confrontés ou encore sur les défis qu’ils font peser sur la société et l’économie libanaise. En se fixant pour objet de faire connaitre la précarité de leurs conditions et de mettre à jour les multiples formes de vulnérabilité que ceux-ci éprouvent, cette littérature parait, dans l’ensemble, orientée vers l’identification d’une « crise des réfugiés ». S’agissant plus spécifiquement des « jeunes », elle fait généralement état des difficultés et des enjeux liés à leur formation et à leur insertion professionnelle, ou bien à la discrimination et à la marginalisation sociale et politique auxquelles ils sont confrontés, et rend compte des risques de radicalisation et d’embrigadement qu’ils encourent. Ces connaissances, celles développées dans des rapports surtout, viendront éclairer la mise en œuvre de politiques qui leurs sont consacrées, notamment promues et financées par des bailleurs de fonds internationaux [UNHCR 2016 ; VASyr 2016, Verme et al. 2016].

Or cette littérature au caractère explicitement prescriptif ne fait pas que recouvrir une réalité. Elle est porteuse de normes et de représentations de ce que sont les « jeunes », qui forment pourtant moins une catégorie sociale objective qu’un objet consacré par le discours public, et contribue à poser les termes avec lesquels leurs problèmes sont envisagés. Il apparait en l’occurrence que les discours associés aux politiques ciblant la jeunesse dans le monde arabe soient généralement ambigus, se montrant à la fois concernés par les défis que rencontrent les jeunes et par ceux qu’ils viennent à causer [Catusse et Destremau 2016]. Ces discours doivent à ce titre être interprétés comme étant une expression des rapports de pouvoirs qui s’exercent au sein de la société libanaise et participant de leur légitimation. L’intervention croissante d’acteurs non-nationaux dans la formulation et dans la mise en œuvre de ces politiques invite également à penser leur articulation aux rapports de pouvoirs qui sont à l’œuvre sur la scène internationale [Somi 2016]. Il en va ici de même pour les réfugiés, et plus généralement, pour les migrants qui sont aussi devenus ces dernières années un objet majeur de l’action et du discours public sur la scène arabe et internationale.

Logos des principales Agences participant au programme "Syria Regional Refugee Response au Liban"

Logos des principales agences participant au programme « Syria Regional Refugee Response » au Liban

L’aide crée du lien et produit un langage

Parallèlement, la majeure partie des travaux traitant de l’aide internationale consacrée à la région (Liban, Palestine, Syrie, Jordanie) considère ses résultats à l’aune de ses propres objectifs. Leurs auteurs se cantonnent de ce fait à une démarche fonctionnaliste et prescriptive dans laquelle l’aide est un instrument nécessaire et dont il s’agit avant tout d’évaluer et d’interroger l’efficacité. Quelques travaux font exception, notamment s’agissant des territoires palestiniens occupés où l’aide internationale constitue depuis une vingtaine d’année un phénomène à la fois constant et majeur. En examinant les effets de l’aide sur la société palestinienne, et notamment son rôle dans la gestion et dans la dépolitisation du conflit avec Israël, ceux-ci ont ouvert de nouvelles perspectives de recherche qui tiennent compte, au côté d’autres considérations, de l’état de captivité dans lequel se trouvent généralement les bénéficiaires vis-à-vis des bailleurs [Labadi 2015].

Sur le Liban en revanche, le besoin d’un travail académique conséquent détaillant les discours et les pratiques des différents acteurs qui agissent dans le champ de l’aide internationale se fait sentir. Mon enquête me conduit pour le moment à privilégier le point de vue d’acteurs locaux, participants, bénévoles ou salariés des organisations bénéficiaires de l’aide, mais aussi des responsables d’ONG, militants politiques, universitaires et acteurs sociaux. De même, je suis amené à récuser l’approche consistant à appréhender l’aide en tant qu’instrument d’une politique discrétionnaire engagée de la part d’une communauté de donateurs au profit d’une population de bénéficiaires. Aussi, plutôt que de vouloir rendre compte des résultats mitigés de l’aide ou d’en expliquer les contradictions, je suis parti du constat, renouvelé à partir du terrain libanais, que l’octroi de l’aide est à la fois sélectif et conditionné, ce qui ne peut manquer de jouer sur la nature des rapports qui s’établissent entre les bailleurs et les bénéficiaires [Hanafi et Tabar 2004]. Par son biais en effet, les bailleurs choisissent les acteurs et les activités qu’ils reconnaissent comme légitimes et invitent les bénéficiaires à s’engager dans un effort conforme, jusqu’à un certain point, à leurs visions et à leurs intérêts.

La domination du bailleur n’en est pas pour autant absolue, et son intervention doit plutôt être considérée comme le fruit d’un « processus tout à la fois incertain, inachevé et partiel d’actions multiples et de compréhensions diverses et concomitantes de la réalité » [Hibou 2011, p. 170]. Néanmoins de son côté, le bénéficiaire est bien souvent tributaire de cette aide et nourrit dès lors un comportement rentier, mettant tout en œuvre pour continuer à profiter du pouvoir que lui assure cette rente, et ce quel que soit son degré d’adhésion quant aux objectifs du bailleur. De façon analogue à ce qui vaut pour les ONG en Palestine, cette dépendance à l’égard des bailleurs vient notamment se substituer à une dépendance à l’égard des organisations politiques et du travail bénévole militant, participant ainsi d’une reconfiguration des rapports de force au niveau local [Sbeih 2014]. Le versement de l’aide constitue enfin un acte de violence symbolique au sens où le bénéficiaire est appelé à exprimer sa gratitude envers le bailleur et à accepter, tacitement, son statut d’objet-cible des politiques engagées par celui-ci [Labadi 2015].

Tous ces acteurs s’insèrent en définitive dans une configuration au sens où l’entendait Norbert Elias, d’un tissu de relations fait d’interdépendances et de pouvoirs. Dans ces conditions, il s’agit non pas de vouloir déceler des liens mécaniques et immédiats entre le versement de l’aide et l’aliénation du bénéficiaire dans un agenda qui ne serait pas le sien, mais bien plutôt de décrire les conditions d’émergence d’un langage par le moyen duquel les acteurs vont s’entendre et œuvrer en commun. En l’occurrence, les divers projets et appels à projet que j’ai pu consulter jusqu’ici mettent en avant la nécessité de promouvoir le « renforcement des capacités », l’« insertion professionnelle » ou bien encore la « participation civique » des jeunes réfugiés, ceci dans le but de réduire leurs « frustrations » ainsi que les « risques de conflit » qui pourraient « menacer la stabilité et la sécurité » du Liban et de la région. Des objectifs qui semblent bien faire l’unanimité parmi les acteurs de ce champ.

Ainsi, tandis que les relations dans le champ de l’aide sont fondamentalement asymétriques, dans la mesure où elles sont conditionnées par le versement de l’aide qui engagent à la fois matériellement et symboliquement un « bailleur » et un « bénéficiaire », le langage lui est générateur de consensus [Beaud 1984], et passe significativement sous silence les rapports de pouvoir à l’œuvre entre ceux qui versent l’aide et ceux qui la perçoivent. Celui-ci évacue également toute considération quant à la dimension géostratégique et potentiellement problématique du travail auprès des jeunes réfugiés palestiniens et syriens au Liban. Les interventions des uns et des autres répondent pourtant à des logiques passablement contradictoires, voire antagoniques. Ceci transparait notamment dans les représentations divergentes que j’ai pu rencontrer de ce qu’est « la jeunesse », tantôt dangereuse ou en danger, tantôt ressource et force de changement pour demain. Cela vaut également pour ce qui est des acceptations hétérogènes du sens donné à l’exil ou au retour, ou encore à l’installation sur le sol libanais, envisagé comme transitoire ou non.

Je suis dès lors conduit à faire l’hypothèse que l’aide internationale contribue à la production d’un discours de vérité qui s’impose aujourd’hui comme un mode crédible de légitimation des rapports de pouvoir à l’œuvre au cœur de la gestion des « problèmes » associés aux jeunes réfugiés au Liban.

Bibliographie

Pour citer ce billet : Taher Labadi, « L’aide internationale dédiée à la jeunesse réfugiée au Liban du point de vue des acteurs locaux », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), le 11 avril 2017. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/7463

Taher Labadi portrait

Taher Labadi a obtenu un doctorat de Sc. Économiques en 2015 en présentant une thèse sur l’économie politique du conflit en Palestine. Ses recherches actuelles portent sur les procédés de pouvoir ainsi que sur les mécanismes de dépolitisations liés aux politiques de développement, de peace-building et d’intégration économique au Moyen-Orient.

Taher Labadi

Taher Labadi a obtenu son doctorat en 2015 en présentant sa thèse sur l’Économie politique du conflit en Palestine. Ses recherches portent sur les procédés de pouvoir ainsi que sur les mécanismes de dépolitisations liés aux politiques de développement, de peace-building et d’intégration économique au Moyen-Orient.

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Al-Mudhik al-Mubki : une revue satirique d’avant-garde en Syrie (1929-1939)

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« La vie parlementaire », 9 décembre 1933Al-Mudhik al-Mubkî [المضحك المبكي = celui qui fait rire et pleurer] … Deux mots qui ont fait rire et pleurer toute une génération de la Syrie de l’entre-deux-guerres jusqu’aux années 1960. Derrière ce nom s’abritent un journal laïc, « politique, satirique et caricaturiste » (éditorial), un intellectuel syrien, Habîb Kahhâla et une recette inédite dont l’ingrédient fondateur est la caricature politique. Alors qu’en Syrie, la société et le patrimoine sont chaque jour plus menacés, il est crucial de revenir sur un héritage majeur de son histoire, un des journaux les plus emblématiques de l’époque mandataire en Syrie, un trésor méconnu de la Bibliothèque de l’Institut Français du Proche-Orient de Damas, actuellement inaccessible au public du fait de la guerre.

Ce billet découle d’un mémoire d’Histoire contemporaine effectué en 2008 sous la direction de Nadine Picaudou et intitulé « L’image du pouvoir mandataire à travers les caricatures politiques du journal satirique syrien, Al-Mudhik al-Mubkî, dans l’entre-deux-guerres : 1929-1939 ». Il s’appuie sur l’analyse de plus d’une centaine de caricatures dont une partie a été traduite et commentée par l’auteure dans un album mis en ligne sur Flickr par l’Ifpo. Se replonger dans ses caricatures nous permet non seulement de lire sous un autre jour la décennie de l’entre-deux-guerres (1929-1939) et les ambivalences des relations politiques pendant le Mandat, mais aussi de documenter le monde de la presse en Syrie dans les années 1930 et l’émergence de la profession de journaliste.

L’écho d’une époque : le mandat français en Syrie

Caricature d’inauguration du journal, 23 août 1929Publié entre 1929 et 1966, Al-Mudhik al-Mubkî est l’un des organes de presse les plus importants du XXe siècle en Syrie, tant par la diversité de son lectorat et de sa ligne éditoriale que par sa longévité et l’usage privilégié de la caricature, alors inédit dans la presse locale. Son rédacteur en chef, Habîb Kahhâla (1898-1965) – diplômé de l’American University of Beirut – adopte un ton humoristique et subversif pour défendre des idéaux nationalistes, notamment à travers des dessins acerbes contre les hommes du pouvoir français, mais qui n’épargnent pas pour autant les hommes politiques syriens. Ce côté rebelle contraste avec sa personnalité puisque sa nièce, Colette Khuri le décrit comme « un homme fragile qui avait peur de tout. Lorsqu’il entrait chez lui, il demandait à sa femme de lui allumer la lumière. Mais lorsqu’il avait sa plume à la main, il était capable de critiquer tout le monde, avec force, subtilité et finesse.  L’homme ne criait jamais que sur sa feuille » (entretien à Damas en avril 2008).

Al-Mudhik al-Mubkî est l’un des cinq journaux satiriques publiés en Syrie dans les années 1930. L’hebdomadaire n’est certes pas le premier de l’histoire de la Syrie – Jirâb al-Kurdî (« le baluchon du kurde », fondé par Tawfîq Jânâ en 1908, qui se positionnait contre le mandat anglais et le sionisme) faisant figure de pionnier – mais Habîb Kahhâla est souvent considéré comme le chef de file de la presse satirique. Al-Mudhik al-Mubkî, bien que largement diffusé, à Damas essentiellement et dans une moindre mesure à Alep, Homs, Hama et Beyrouth, dispose d’un organigramme rudimentaire : dans les années 1930, il n’est l’entreprise que d’un seul homme. Habîb Kahhâla est en charge de l’écriture de la quasi-totalité des articles et ne fait appel qu’à un caricaturiste, un imprimeur, un zincographe et un distributeur. Parfois, lorsqu’il se trouve en « pénurie » de caricaturistes, il se charge lui-même de cette rubrique, primordiale à ses yeux. Entre 1929 et 1939, il engage pour la réalisation de la majorité des caricatures deux peintres de formation : Tawfîq Tarîq (1875-1940) – peintre réaliste syrien et pionnier de la peinture à l’huile en Syrie – et Khalîl al-Ashqar (connu sous le pseudonyme « Joulian », « Julian » ou « Darwish »). Ces deux dessinateurs n’avaient jusqu’alors guère exercé l’art de la caricature, ce qui pourrait expliquer leur timidité initiale à déformer et exagérer les traits de leurs personnages que révèle un certain réalisme dans les compositions.

Les images que l’on retrouve dans cet album ont été publiées au cours de la décennie 1929 – 1939, à une période où la Syrie est placée sous mandat A de la Société des Nations. Le Mandat institutionnalise, dès l’arrivée des troupes françaises à Damas en 1920, la partition territoriale de la Syrie en plusieurs États : le Grand Liban, l’État de Damas, d’Alep, des Alaouites et du Djebel druze, ainsi que le sandjak d’Alexandrette qui bénéficie d’un régime d’autonomie spéciale. La France y est chargée d’« élaborer un statut organique pour la Syrie et le Liban en accord avec les autorités indigènes » et de « favoriser les autonomies locales », d’assurer la défense, la sécurité et les relations extérieures des territoires » (charte du Mandat en 1922).

« Les négociations », 15 avril 1933Les dessins de presse sélectionnés dans notre étude mettent en scène les représentants de l’autorité mandataire française (haut-commissaire, délégués, ministre des Affaires étrangères) et ceux du pouvoir syrien (chefs de gouvernement, ministres, chefs de partis politiques et hommes politiques). L’acteur de cette relation syro-mandataire le plus représenté demeure le haut-commissaire français – basé à Beyrouth – qui concentre l’ensemble des pouvoirs politique, militaire, législatif et économique et contrôle le gouvernement syrien. Il est assisté par des délégations qui représentent le haut-commissaire auprès des différents États créés par le Mandat, et qui y disposent des pleins pouvoirs. Mais l’hebdomadaire s’en prend également aux autres acteurs du jeu politique mandataire, le parlement et le gouvernement syriens, pour majorité des « modérés » en 1929, auxquels viennent s’ajouter des nationalistes dès 1932. Dans les années 1930, la politique mandataire opte pour la coopération avec les hommes politiques syriens. Les fonctionnaires français et les élites syriennes – même nationalistes plus radicales – entretiennent dès lors un dialogue permanent qui n’est pas sans heurts.

Pratiques et critiques pionnières : un combat nationaliste ancré dans la Nahda

La langue utilisée dans les légendes et les titres est particulièrement innovante pour l’époque : une langue médiane, simplifiée, à la croisée de l’arabe littéral et de l’arabe dialectal, ce qui fait d’Al-Mudhik Al-Mubkî un des premiers journaux arabes à avoir introduit le dialectal dans ses lignes. Les caricatures – véritable marque de fabrique du journal – y tiennent une place de premier ordre. Les images présentées en première et quatrième de couverture sont en couleurs, ce qui les différencient de celles disséminées à l’intérieur du journal, en noir et blanc et parfois extraites de journaux étrangers (Le Rire, London Opinion, Herald Tribune notamment). Ces dessins satiriques sont placés en pleine-page et occupent une place stratégique : tout en annonçant le ton de l’ensemble du numéro, elles synthétisent en quelques traits l’événement le plus marquant de la semaine, auquel au moins un article fait référence.

"Allons enfants de la patrie", 26 juillet 1929La caricature intitulée « Allons enfants de la patrie », vaut au journal une suspension de trois mois. Datée du 26 juillet 1930 et signée par Khalîl al-Ashqar, elle est accompagnée de la légende suivante : « Les ministres chantant la Marseillaise pendant la fête du 14 Juillet ». Quelques jours après la célébration de la fête nationale française, cette charge représente le gouvernement syrien travesti en bouffons, célébrant avec une ferveur extrême, la fête nationale française. Le chef du gouvernement, Tâj al-Dîn, à la tête de la fanfare, est suivi de ses ministres, Jamîl al-‘Ulshî, Wâthiq al-Mu’ayyad et Tawfîq Shâmiyya. La scène est observée par le délégué d’Henri Ponsot à Damas. Frappant avec force sur un tambour, Tâj al-Dîn al-Hasani exprime tout son enthousiasme à défendre les intérêts français, en chantant la Marseillaise, symbole du patriotisme français. C’est ici la francisation et l’assimilation à la culture mandataire (voire l’acculturation) qui sont visées, résultats d’une coopération déséquilibrée entre les ministres syriens et les agents français du Mandat. Les ministres syriens semblent non seulement favorables au Mandat, mais surtout à la France toute entière. Il s’agit d’une scène de « carnaval sans carnaval », où les fanfarons se transforment en marionnettes du pouvoir mandataire. Les membres du gouvernement mettent de côté leurs ambitions nationalistes et préfèrent célébrer la Révolution française ; ce qui ravit le mandataire, qui lève le bras en signe de soutien. Ce qui est décrié, c’est le passage d’une simple soumission structurelle des gouvernements syriens au Mandat, à une servitude volontaire. La critique vise d’abord l’autoritarisme du haut-commissaire et la sujétion de ses interlocuteurs syriens. Ce premier niveau de revendication, classique du discours nationaliste, se conjugue à une autre forme de condamnation : celle de la coopération de façade du gouvernement syrien – incarnée par des figures de « traîtres » comme les nomme le journal – avec le pouvoir mandataire. La charge est d’ailleurs plus virulente envers le gouvernement syrien voire les nationalistes modérés qu’envers les représentants du Mandat français. On constate les ambiguïtés de la relation syro-mandataire : elle n’est ni exclusivement unilatérale, ni réellement coopérante comme les dirigeants français et syriens de l’époque ont tenté de le faire croire.

Cette attaque envers les deux parties de la relation mandataire a servi un programme de réforme plus général, ancré dans l’idéologie de la Nahda. Ce combat s’articule notamment autour de l’unité territoriale de la Syrie, l’indépendance, la liberté de la presse et d’opinion et, phase ultime de cette émancipation, la démocratie. Tout en se réclamant implicitement d’un nationalisme sans compromission avec la domination française, le journal n’est pas pour autant la voix d’un parti politique spécifique, ni d’un syndicat, ni d’un bloc parlementaire, mais la voix d’un seul homme et c’est en cela qu’il est original.

Les cinq aspirations nationalistes, 19 novembre 1932La caricature « Les cinq aspirations nationalistes », datée du 19 novembre 1932, résume bien sa ligne politique, proche de personnalités politiques comme Ibrâhîm Hanânû (1869-1935). On y observe le haut-commissaire Henri Ponsot et son délégué, perchés de part et d’autre d’un haut obstacle constitué de plusieurs barres, chacune représentant une revendication nationaliste : l’unité syrienne ; l’amnistie générale ; la souveraineté nationale ; [abolition de] l’article 116 [annexé par Ponsot à la Constitution du président de l’Assemblée constituante Hashim Al-Atâsî en mai 1930 qui escamote la revendication d’unité] ; [abolition de] la loi d’interdiction des crimes [qui est en fait la loi de censure de la presse]. Les deux ministres nationalistes du gouvernement modéré de ‘Alî al-‘Abid sont à cheval, au pied de l’obstacle qu’ils contemplent par le bas, sans toutefois parvenir à le surmonter. Ibrâhîm Hanânû, fondateur du Bloc national syrien est figuré en arrière de la scène principale et s’adresse aux ministres, d’un ton intransigeant : « Soit vous êtes capables de sauter cet obstacle, soit vous arrêtez tout ». Les mandataires s’évertuent à ériger un obstacle si haut que les ministres ne parviennent ni à le surmonter, ni à réaliser les aspirations inscrites devant eux. Apparaît pour la première fois dans le journal l’idée de « souveraineté nationale ». Elle passe par l’« unité syrienne » (qui rassemblerait le Liban, le Djebel Druze, l’État des Alaouites, la Palestine et la Transjordanie), par « l’amnistie » – celle de tous les condamnés de la révolte de 1925  – mais aussi par une vie parlementaire saine et juste.

Face à la censure, la constitution du métier de journaliste en Syrie

Ce journal a également participé à l’affirmation de l’activité de journaliste en Syrie comme une profession à part entière, avec ses acteurs, ses stratégies, ses conventions, son langage, et a fait émerger un « petit monde des intellectuels » (Leila Dakhli, 2009). Najîb al-Rayyis, propriétaire du journal Al-Ayyâm, Ma`rûf Arnaût de Fata al-`Arab, Najîb al-Armânâzî, propriétaire et directeur du quotidien Al-Ayyâm, Adîb al-Safâdî, rédacteur dans les quotidiens Al-Sha`b et Al-Muqtabas sont autant de figures médiatiques qui émaillent l’hebdomadaire et contribuent à créer une « communauté de presse » avec des jeux de connivence entre journaux, des critiques communes et une solidarité face à la censure qu’ils subissent.

La résurrection d’Al-Mudhik al-Mubkî, 11 octobre 1930Le 11 octobre 1930, après sa suspension de trois mois, le journal reparaît avec la caricature intitulée « La résurrection d’Al-Mudhik al-Mubkî ». Elle présente quatre membres du gouvernement modéré de Tâj al-Dîn (le chef du gouvernement), Tawfîq Shâmiyya (ministre du Travail), Jamîl al-‘Ulshî (ministre des Finances) et `Abd al-Qâdir al-Kaylânî (ministre du Commerce et de l’Agriculture). Ils courent, affolés, les mains en l’air, pour fuir une femme surgissant d’une tombe enfumée, aux cheveux déliés, au sein dévoilé, vêtue d’une robe d’un blanc immaculé. La légende nous informe qu’« Al-Mudhik al-Mubkî a ressuscité d’entre les morts et a vaincu la Mort ». La femme – allusion à la Marianne française et allégorie du journal– brandit une bannière rouge où est inscrit le nom du journal. Ayant vaincu sa propre mort provoquée par le gouvernement, elle est symbole de Victoire : debout, son bras levé vers le haut, surplombant la scène, elle regarde à l’horizon, vers l’avenir. La représentation des membres du ministère syrien contraste avec celle de la femme : l’air effrayé, la bouche ouverte et les doigts écartés, dispersés dans la partie inférieure de la composition. Ils portent des costumes de couleur noire qui contrastent avec le blanc de la robe – couleur de l’innocence et de la vérité. À ses côtés, les ministres s’écrient : « Misère, Al-Mudhik al-Mubkî est revenu ». La référence au récit biblique de la résurrection est manifeste : le journal est ainsi sacralisé et sa légitimité affirmée. Les anciens censeurs se transforment en ministres menacés par l’œil critique d’Al-Mudhik al-Mubkî. Le journal, par son ton provocateur et frondeur, se fait le chantre de la lutte pour la liberté de la presse.

Véritable reflet de l’histoire politique de l’entre-deux-guerres, les dessins d’Al-Mudhik al-Mubkî permettent de s’immerger dans un flot d’événements, d’anecdotes, de noms, de polémiques, souvent difficiles à restituer. Si toutes ces caricatures étaient très compréhensibles pour leurs contemporains, leur sens s’est parfois estompé avec le temps. Ceci représente d’ailleurs une spécificité de la caricature et de la difficulté à l’étudier. La postérité de ces images est d’autant plus menacée qu’elles illustrent la vie d’un microcosme régional (la Syrie) voire urbain (Damas). Dans le contexte des années 1930, ces dessins ont largement contribué à faire l’événement, ou du moins à le prolonger dans les esprits. Al-Mudhik al-Mubkî a été une « scène de théâtre pour le peuple, son lieu de divertissement, une galerie d’expositions de ses plaintes, une école de jour et de nuit où les analphabètes apprenaient le b-a ba de la politique » comme l’écrit Fawâz al-Shâyab, le 2 janvier 1966, dans le journal en voie de disparition (n°1149). Si ces charges sont un reflet de l’histoire événementielle de la Syrie des années 1930, elles n’en sont qu’un reflet déformé par le point de vue des dessinateurs. Ce qui figure dans Al-Mudhik al-Mubkî n’est pas l’histoire du milieu politique syrien, mais plutôt celle de son envers, sa face cachée, ses coulisses.

Après avoir atteint son âge d’or en 1964 avec plus de 20 000 exemplaires tirés, le journal disparaît en juin 1966, à la suite du décret de sa suspension définitive par le partie Ba`th. Cette date marque le début d’une longue période de paralysie de la presse qui dure jusqu’à nos jours. Al-Mudhik al-Mubkî demeure présent dans la mémoire collective syrienne comme un journal qui a marqué l’histoire. Au XXIe siècle, des initiatives éparses ont permis, de lui donner une deuxième vie : le caricaturiste syrien ‘Alî Ferzat’, agressé par les sbires du régime en 2011, avait créé dix ans auparavant un hebdomadaire satirique, Ad-Dommari, qui s’inscrivait dans la lignée d’Al-Mudhik al-Mubkî. Bien qu’il ait été le premier journal autorisé depuis 1963, vendu à 100,000 exemplaires les premières semaines, il fut interdit une dizaine de numéros après son lancement. En outre, en 2005, un hebdomadaire est sorti sous le nom de Al-Mubkî (« celui qui fait pleurer »), allusion directe à son prédécesseur des années 1930. Mais la section « celui qui fait rire » y a été supprimée car la presse actuelle, muselée par la dictature sanguinaire du régime, n’a plus les moyens de rire.

Ce billet est tiré du mémoire de Marion Slitine, sous la direction de Nadine Picaudou, Paris 1-Sorbonne, Master 1 de Recherche, mention Histoire « Spécialité Histoire de l’Afrique : Histoire du Maghreb et des sociétés arabes contemporaines », réalisé en 2008. Commentaires, traductions et photos de Marion Slitine.

Bibliographie

  • ABDELKI Y., La caricature en Syrie, 1906-1966, Analyse de style, (Étude sur les caricaturistes syriens depuis le début du XXe siècle et particulièrement sur les caricaturistes d’Al-Mudhik al-Mubkî, dans le cadre de la formation de l’auteur en arts plastiques à Paris IV Sorbonne), Maktabat al-Azhirya
  • DAKHLI, L., Une génération d’intellectuels arabes, Syrie-Liban 1908-1940, Karthala, 2009
  • ELIAS, J., تطور الصحافة السورية في مائة عام 1865-1965, (Évolution de la presse syrienne, 1865-1965), Beyrouth, Dâr al Nizâl, 1983
  • KHOURY P.S., Syria and the French Mandate, The Politics of Arab Nationalism 1920-1945, Londres, I.B. Tauris, 1987, https://doi.org/10.1515/9781400858392
  • MEOUCHY N. (dir.), France, Syrie et Liban, (1918-1946), Les dynamiques et les ambiguïtés de la relation mandataire, Damas, IFEAD, 2002, https://doi.org/10.4000/books.ifpo.3155
  • SLITINE Marion, « L’image du pouvoir mandataire à travers les caricatures du journal satirique syrien Al-Mudhik Al-Mubki, 1929-1939 », Master 1 en Histoire, Mention « Sociétés arabes contemporaines » à Paris 1-Sorbonne, sous la direction de Nadine Picaudou, 2008

Pour citer ce billet : Marion Slitine, « Al-Mudhik al-Mubkî, une revue satirique d’avant-garde en Syrie (1929-1939) », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), le 09 juin 2017. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/7517

Remerciements

Mes profonds remerciements s’adressent à Nadine Picaudou, qui m’a montré le chemin, ainsi qu’à Hassan Abbas et Soheil Shebat, pour les longues heures passées à appréhender ce passé. Sans ces chers professeurs, l’exploration de ce monde n’aurait jamais pu avoir lieu.

Marion Slitine

Marion Slitine est doctorante en anthropologie à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS-Paris). Après avoir travaillé au Centre culturel de Damas puis à l’Institut Français de Jérusalem, elle a bénéficié de la bourse « Aide à la Mobilité Internationale » (2012-2014) à l’Ifpo des Territoires palestiniens où elle a vécu pendant trois ans, puis des bourses du Musée du Quai Branly et du MUCEM/Fondation Camargo (Marseille-Cassis). Sa thèse porte sur l’art contemporain palestinien à l’heure de la mondialisation.

Page personnelle : http://www.ifporient.org/marion-slitine

Academia : https://ehess.academia.edu/marionslitine

Marion Slitine

Marion Slitine est doctorante en anthropologie à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS-Paris). Après avoir travaillé au Centre culturel de Damas puis à l'Institut Français de Jérusalem, elle a bénéficié de la bourse « Aide à la Mobilité Internationale » (2012-2014) à l’Ifpo des Territoires palestiniens où elle a vécu pendant trois ans, puis des bourses du Musée du Quai Branly et du MUCEM/Fondation Camargo (Marseille-Cassis). Sa thèse porte sur l’art contemporain palestinien à l’heure de la mondialisation.

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L’exclusion des femmes de l’héritage et de la propriété foncière en Jordanie : droit et normes sociales

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« Sans la Sharia, pas une femme n’hériterait en Jordanie ! »,

Juge A. O., Cour Suprême, 1er Novembre 2015.

Alors que la constitution garantit aux femmes le droit à la propriété et à l’héritage selon la loi islamique en vigueur, les femmes jordaniennes subissent une grande pression sociale pour renoncer à leurs parts en faveur de leurs frères. Dans un nombre important de cas, les mères, les filles et les sœurs ne reçoivent pas leur part d’héritage pleine et entière, mais au mieux une compensation financière symbolique (JNFW 2010). En Jordanie, les trois piliers de l’intégration économique des femmes sont l’héritage, la dot et, depuis les années 1970, le travail salarié. Or, l’héritage et la propriété foncière sont régis par un pouvoir patriarcal particulièrement rigide. Les femmes sont dépendantes de leur père, de leur mari ou de leurs frères pour se loger. Depuis 2009, elles peuvent en théorie choisir leur lieu de résidence. Et en 2010, les militants des droits des femmes sont parvenus à travailler avec le juge de la Cour suprême de la Sharia pour introduire une période de trois mois de latence après le décès, pendant laquelle nulle transaction ne peut avoir lieu. Cette période évite que les héritières ne soient dépossédées de leurs parts d’héritage sous le coup de l’émotion.

Selon les statistiques de la Cour suprême de la Sharia, le tiers des héritiers a renoncé à ses droits en 2014, en procédant à une « exclusion » (takhāruj). Si le sexe de l’héritier n’est pas précisé, c’est en grande majorité le fait de femmes. Selon une enquête conduite en 2010 dans le gouvernorat d’Irbid par le Forum Jordanien pour les Femmes, auprès de 1372 femmes, 20% d’entre elles avaient renoncé à leur part d’héritage, dont 15% de leur plein gré (Al Saheh, 2010). Une majorité de ces dernières a intériorisé la croyance selon laquelle hériter signifie priver leurs frères du bien de leurs pères et défendent par-là les privilèges des hommes en matière d’héritage.

En conséquence, seulement 6.8% des femmes mariées étaient propriétaires d’un logement, et seulement 7% possédaient de la terre contre respectivement 60,9% et 51,3 pour les hommes (Département des statistiques, Jordan Population and Family Health Survey, 2012 et Gender Statistics 2015). Dans le détail, 3.2 % des femmes mariées sont l’unique propriétaire de leur logement, 3.5% en sont copropriétaires (mushtarak) avec leur mari ou leur frère. Dans les grandes villes d’Amman et Irbid, certaines femmes des classes supérieures parviennent à obtenir que leur logement soit enregistré à leur nom au moment du mariage. Les femmes possèdent ainsi 19.5% des logements enregistrés en 2014 – les logements construits dans des buts d’investissement et destinés à la location sont systématiquement enregistrés (DOS 2014). Mais ces appartements ne constituent que 42% de l’ensemble des logements (maisons, immeubles familiaux) selon le recensement. En conséquence, les femmes sont propriétaires de 10% des logements seulement.

L’exclusion des femmes de la propriété constitue l’un des plafonds de verre qui entravent l’intégration des femmes à l’économie. La Jordanie est le 120e pays sur 134 pour ce qui est des écarts juridiques et économiques entre hommes et femmes (World Economic Forum Report on Gender Gaps, 2013). Seulement 13% des femmes actives exercent un emploi salarié (contre 60% des hommes), ce qui est l’un des taux les plus faibles au monde (DOS 2015). Et si 22,5% des biens financiers (parts d’entreprises, stock-options) sont possédés par des femmes, c’est que leur mari ou leur père ont souhaité, en les leur attribuant, protéger leurs propres biens en cas de faillite (DOS et KVINFO, 2012).

1 Droit islamique, droit coutumier

Comme dans la plupart des pays du Moyen-Orient, l’héritage est régi par le droit sur le statut personnel, selon le droit de chaque juridiction religieuse. Il s’agit là d’un héritage du code ottoman de 1869 (Mecelle). La loi personnelle est confirmée par l’article 1086 de la loi Civile jordanienne et le dernier amendement de la loi provisoire du statut personnel (code du statut personnel), n°36 de 2010. Selon la loi islamique de tradition sunnite en vigueur en Jordanie, une femme reçoit moitié moins que son frère. En revanche, les veuves reçoivent un huitième si elles ont eu des enfants, le quart si elles n’en ont pas eu, ce qui est considéré comme juste mais relativement élevé. Mais l’une des spécificités de la Jordanie est que les chrétiens, qui forment moins de 3% de la population (Lahham, 2015), appliquent eux aussi les procédures musulmanes d’héritage. Lors du Mandat britannique (1921-1946), il leur avait été offert la possibilité d’établir un système d’égalité entre hommes et femmes en matière d’héritage, dans le cadre de la mise en place du système législatif de l’Émirat (Chatelard, 2004). Mais ils l’ont refusée et elle ne s’est jamais matérialisée. Certains notables chrétiens sont de grands propriétaires fonciers qui partagent les mêmes normes sociales que les Jordaniens musulmans concernant l’héritage. Ils dépossèdent volontiers leurs filles, de peur que leurs biens ne soient transmis aux familles de leurs gendres, par leurs héritiers (Abujaber, 1989 ; Jansen, 1993).

Les problèmes d’héritage portent sur les biens fonciers et immobiliers, mais non sur les biens financiers (amwāl naqda, argent, actions, parts de sociétés). Ces derniers sont transmis en main propre aux femmes sous la forme de chèque nominal, établi par chaque tribunal religieux. Une certaine pression familiale s’exerce aussi sur les femmes, invitées à céder dans ce cas aussi une partie de leur héritage pécuniaire à leurs frères, mais elles ont plus de contrôle sur ces biens, qui ne peuvent être dissimulés, ou non divisés.

De plus, la législation foncière a évolué en défaveur des femmes. Jusqu’en 1991, les terres du domaine d’État utilisées par les bergers pour faire paître les troupeaux, et par des villageois pour les cultures sèches d’orge, ou terres mr, dépendaient du droit coutumier. Selon celui-ci, l’État concédait un droit d’usage (tasarruf) de ces terres, hérité à part égale par les femmes. Or, à la faveur de leur présence au Parlement après les élections de 1989, les Frères musulmans, qui avaient remporté le tiers des sièges, ont fait passer plusieurs lois conservatrices, dont la loi de transfert de la propriété (Qānn al-Intiqāl, N° 4, 1991). Celle-ci étend les règles de la sharia à l’ensemble de la législation sur la succession des biens fonciers (mulk propriété privéeet mr). Les conséquences économiques furent importantes pour les terres situées en périphérie urbaine et où la spéculation foncière est importante. Alors que les terrains urbains sont en mulk, les terrains de parcours pastoral situés à l’est des principales villes jordaniennes et construits illégalement, étaient eux en mrī (figure 1). En conséquence, les femmes qui héritaient de la moitié de terrains situés en limite des villes, et donc de grande valeur économique, ont perdu une source d’accès importante à des revenus.

 

Utilisation du sol et extension urbaine de la Jordanie

Utilisation du sol et extension urbaine de la Jordanie

Enfin, plusieurs stratégies sont conduites par les pères de famille, afin de s’assurer que leurs biens fonciers soient répartis entre leurs fils, ou leurs frères s’ils n’ont que des filles. La première consiste à les donner de leur vivant. La seconde consiste à ne pas subdiviser les biens fonciers au moment du décès du grand-père ou du père, mais à les attribuer oralement à leurs petits fils et aux fils.

2 Donations du vivant et absence de division après décès

Afin de lutter contre la fragmentation des biens fonciers, en particulier des terres agricoles, et de garantir de larges parts d’héritage aux fils, un usage très répandu consiste pour le père à donner, de son vivant, ses biens à ses fils (il s’agit d’une vente sans argent). Une taxe de 1% de la valeur estimée du bien est prélevée par le cadastre pour ces transactions entre membres proches de la même famille (usl wa fughur c’est-à-dire parents-enfants, maris-femmes, frères-sœurs). Le reste des ventes est taxé à 9%. Le cadastre a accepté d’extraire pour cette recherche les statistiques suivantes : en 2014, le tiers des ventes de terres en Jordanie a eu lieu entre proches (37,1%), en progression au cours des dix dernières années (de 23,3% en 2005) (tableau 2). C’est un phénomène considérable. Il serait bon d’avoir une division par sexe, mais selon des entretiens conduits avec le personnel du cadastre, il semblerait que les ventes se font entre hommes, renforçant ainsi le modèle patriarcal dominant. En ce qui concerne les logements, les chiffres sont moins conséquents : seuls 15,7% des ventes étaient entre proches en 2014, en progression depuis 2005 (11,7%). En conséquence, au moment du décès, il ne reste rien à transmettre aux filles.

Évolution des ventes de terrains entre membres de la famille comparée aux ventes à des tiers de 2005 à 2014 en Jordanie

Type de vente 2005 2014
Vente entre copropriétaires (mushtarak) 2641 2.8 % 6187 5.9 %
Vente entre membres de la famille (‘usl fughur) 21858 23.3 % 38926 37.1 %

Vente à des tiers de terrains

 

69321 73.9 % 59636 56.9 %
Total des ventes de terrains

 

93820 100 % 104749 100 %

(Source : Department of Land and Survey Database, tableau préparé sur requête de l’auteur, novembre 2015)

L’autre pratique très répandue consiste à geler l’ensemble des biens, et à ne rien diviser. Ainsi, les fils d’une même famille s’entendent de façon informelle sur l’attribution des parts de leur père, mais n’effectuent aucune transaction devant un tribunal. Typiquement, les différents appartements d’un immeuble seront attribués de façon orale aux uns et aux autres, mais aussi aux veuves et aux sœurs non mariées. Selon l’étude conduite à Irbid en 2010, le tiers des femmes (34%) n’avait pas reçu sa part d’héritage du fait de l’absence de divisions des biens fonciers. Seulement 26% des femmes avaient reçu leur part pleine et entière d’héritage (Al Saheh 2010). Ce dernier point est particulièrement important dans un pays où moins de la moitié de la production immobilière est formelle. Sur les 1 056 889 nouveaux logements construits entre 2004 et 2015, seulement 432 921 ont un permis (qu’il soit demandé avant construction, ou après pour régularisation) (DOS, Construction statistics). Les militants des droits des femmes, en particulier la commission nationale pour les femmes, le forum jordanien pour les femmes et l’organisation non gouvernementale juridique Mizan, se sont saisis de la question en 2010. En travaillant avec la Cour suprême de la Sharia, ils sont parvenus à introduire, en 2011 deux articles qui fixent une période de trois mois de latence après le décès, pendant laquelle aucune procuration ni aucune exclusion ne peut être enregistrée (articles 318 et 319 du Code du statut personnel n°36). Cette période de trois mois offre aux femmes la possibilité de se défendre et de réfléchir aux conséquences économiques d’un éventuel renoncement.

Les associations de défense des droits des femmes militent pour informer les femmes de leurs droits au moment de la rédaction de leur contrat de mariage. Elles leur rappellent qu’en cas de décès, les veuves ont le droit de réclamer la deuxième moitié de leur dot avant que tout héritage n’ait lieu. En effet, les dots sont versées en deux temps, au mariage puis au divorce ou à la mort de l’époux, ce que peu de femmes savent. Enfin, la Jordan National Commission for Women réclame l’amendement de l’article 279 de la loi personnelle provisoire n°36 de 2010, afin de donner le droit aux enfants d’une fille décédée à l’héritage de sa part. Car à ce jour, seuls les enfants d’un fils décédé y ont droit.

Conclusion

En Jordanie, la propriété est un domaine masculin. Les femmes en sont exclues surtout pour éviter que les biens fonciers et immobiliers ne passent à une autre famille, et tout est ainsi fait pour que les maris n’héritent pas de leurs beaux-pères via leurs épouses. Du fait d’une structure politique très conservatrice, les militants du droit des femmes ne peuvent que demander une meilleure application de la Sharia, mais pas en discuter les termes. Paradoxalement, le conservatisme de plus en plus grand de la société conduit des pères à appliquer « la volonté de Dieu » telle qu’inscrite dans la Sharia, ce qui encourage l’accès à la propriété des filles, et condamne toutes les pratiques visant à les priver de leurs droits.

Bibliographie

  • Ababsa, Myriam, 2016, « Exclusion and Norms: Enforcing Women’s Rights to Property in Jordan », in Edouard Al Dahdah, Cristina Corduneanu-Huci, Gael Raballand, Ernest Sergenti, Myriam Ababsa, Rules on Paper, Rules in Practice. Enforcing Laws and Policies in the Middle East and North Africa, IBRD/ The World Bank, Directions in Development, Public Sector Governance, p. 93-121.https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/24715
  • Abujaber, Raouf Sa’d, Pioneers over Jordan, The Frontier of Settlement in Transjordan, 1850-1914, Londres, I.B Tauris, 1989
  • Abu Sneineh, Abdulrahman, 2014, Disinheritance of Women Legalized. Arab Reporters for Investigative Journalism. http://en.arij.net/report/disinheritance-of-women-legalized/.Al Saheh, Iman, 2010, « A Study Reveals that 74% of Women in the Governorate of Irbid Do Not Receive their Full Rights to Inheritance», Al Dustour, 26-9-2010” (en arabe). http://addustour.com/articles/655476-%D8%AF%D8%B1%D8%A7%D8%B3%D8%A9-74-%D9%85%D9%86-%D9%86%D8%B3%D8%A7%D8%A1-%D8%A5%D8%B1%D8%A8%D8%AF-%D9%84%D9%85-%D9%8A%D8%AD%D8%B5%D9%84%D9%86-%D8%B9%D9%84%D9%89-%D9%83%D8%A7%D9%85%D9%84-%D8%AD%D9%82%D9%88%D9%82%D9%87%D9%86-%D8%A8%D8%A7%D9%84%D9%85%D9%8A%D8%B1%D8%A7%D8%AB
  • Chatelard, Géraldine, 2004, Briser la mosaïque. Les tribus chrétiennes de Madaba, Paris, CNRS Éditions
  • Département des statistiques, Jordan Population and Family Health Survey, 2012
  • Jordanian National Commission for Women, 2010, Jordan’s Fifth National Periodic Report to the CEDAW Committee—Summary, no 32. http://www.women.jo/admin/document/CEDAW%20English.pdf
  • Jordanian National Commission for Women, 2012. Women’s Rights to Inheritance. Realities and Proposed Policies
  • Jansen, Willy, 1993, “Creating Identities. Gender, Religion and Women’s Property in Jordan.” In Who’s Afraid of Feminity? Questions of Identity, edited by M. Brugman, et al. Amsterdam: Rodopi, 157–167
  • Lahham Maroun, 2015, Jordan: History, Faith and Beauty, Vicariat patriarcal Latin, Amman
  • Prettitore, Paul, 2013, Gender and Justice in Jordan: Women, Demand and Access, World Bank, MENA Knowledge and Learning Quick Notes Series n° 107, 4
  • Sharia Supreme Court, 2014, Statistical Yearbook 2014. Dairat Qadi al Quda, taqrir al ihsai al sanawi li ‘am 2014
  • World Bank, 2005, The Economic Advancement of Women in Jordan: A Country Gender Assessment. Social and Economic Development Group, Middle East and North Africa Region

Pour citer ce billet : Myriam Ababsa, « L’exclusion des femmes de l’héritage et de la propriété foncière en Jordanie : droit et normes sociales », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), le 13 septembre 2017. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/7618

Myriam Ababsa Myriam Ababsa est géographe spécialiste des politiques publiques de développement au Moyen-Orient. Elle est chercheure associée à l’Ifpo Amman et consultante pour la Banque mondiale (stratégie du logement et modèles de croissance urbaine durable pour la Jordanie).

Page personnelle et bibliographie sur le site de l’Ifpo : http://www.ifporient.org/myriam-ababsa

Myriam Ababsa

Géographe spécialiste des politiques publiques de développement au Moyen-Orient (Syrie et Jordanie), Myriam Ababsa est associée à l'ifpo Amman. Ancienne élève de l'ENS Fontenay Saint Cloud, agrégée de géographie.

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MisSMO (Missions chrétiennes et sociétés au Moyen-Orient) : organisations, identités, patrimonialisation (XIXe-XXIe siècles)

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Missmo

Responsables : Philippe Bourmaud, IFEA ; Séverine Gabry-Thienpont, Ifao ; Marie Levant, Fondazione per le scienze religiose Giovanni XXIII, Norig Neveu, Ifpo ; Karène Sanchez, Université de Leyde

Depuis janvier 2017, le projet de recherche quinquennal « Missions chrétiennes et sociétés au Moyen-Orient : organisations, identités, patrimonialisation (XIXe-XXIe siècles) » ou MisSMO regroupe une vingtaine de chercheurs pour travailler sur le fait missionnaire au Moyen-Orient de la fin du xixe siècle à nos jours. Porté par l’École française de Rome (EfR), l’Institut français d’archéologie orientale (Ifao), l’Institut français d’études anatoliennes (IFÉA), l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo), l’Université de Leyde et la Fondazione per le Scienze Religiose Giovanni XXIII, l’objectif de ce programme de recherche est de situer les missions au regard des évolutions culturelles et sociales qui ont traversé le Moyen-Orient, de la modernité ottomane jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit d’analyser le phénomène missionnaire à l’échelle régionale, et non plus seulement aux échelles nationale ou locale. Tout en nous interrogeant sur l’évolution des formes, de l’organisation et du rôle des missions, nous montrerons comment elles ont engendré des mutations sociales, culturelles et économiques profondes, non seulement pour les chrétiens mais aussi pour les musulmans au Moyen-Orient.

Axe 1 – Missions et pouvoirs en place

coordination Karène Sanchez

Dans le cadre d’un premier axe, notre démarche consiste à mettre en perspective les rapports entretenus entre les pouvoirs en place et les missions. Concernant la période ottomane (fin xixe– début xxe siècle), notre projet reviendra sur le déploiement des initiatives caritatives et sanitaires des missions catholiques, protestantes et orthodoxes. Il étudiera l’influence de ces missions sur l’organisation et l’arabisation des Églises locales, ainsi que leur rôle dans la formation d’élites intellectuelles et cléricales. Pour la période mandataire (période de l’entre-deux-guerres), nous examinerons les relations entretenues entre d’une part, les missionnaires protestants et catholiques, et d’autre part les autorités françaises ou britanniques. Nous analyserons la place des missions dans la mise en œuvre de systèmes et de savoirs coloniaux, ainsi que la formation du personnel nécessaire pour faire des Mandats des administrations répondant au projet de « voir comme un État », selon l’expression de James Scott. Nous étudierons les devenirs divergents des missions au sein d’États qui, à partir des années 1950, adoptent des politiques différentes en la matière, de la fermeture des écoles confessionnelles dans l’Irak baathiste à leur nationalisation dans les sociétés égyptienne, jordanienne, palestinienne et syrienne, en passant par le cas singulier du Liban. Cet axe nous permettra alors d’interroger plus globalement l’évolution de la notion de mission depuis la période ottomane.

 Axe 2 – Missions et identités confessionnelles

coordination Norig Neveu

Le second axe permet d’aborder la question des nouvelles identités confessionnelles locales. L’arrivée des missions au Moyen-Orient a en effet entraîné le développement de nouvelles Églises, notamment protestantes, non nécessairement reconnues par les autorités politiques. Ce faisant, elle a contribué à reformuler les frontières confessionnelles, tout en jouant un rôle central dans les processus d’affirmation religieuse et identitaire locaux. Ce projet se propose ainsi d’analyser les formes d’organisation, caritatives, humanitaires, militantes voire parfois à vocation séculière, développées par les fidèles de ces Églises tout au long du xxe siècle pour revendiquer une reconnaissance officielle. Approcher la question des identités confessionnelles par l’action des missionnaires met en évidence les pratiques et les effets de cette confessionnalisation, sans en faire les conséquences mécaniques de dispositifs institutionnels tels que lois et constitutions. En outre, d’abord destinées aux chrétiens des territoires où elles s’implantaient, ces missions ont souvent dû négocier leur place et leur rôle face aux Églises orientales ‘historiques’, tout en portant une volonté de dialogue et d’interaction avec les populations musulmanes. Cela se traduit aujourd’hui par une recrudescence d’entreprises œcuméniques et de dialogue islamo-chrétien à l’échelle régionale. C’est donc en tant qu’espace de contact entre les religions que les missions seront ici appréhendées, afin d’évaluer dans quelle mesure les « frontières religieuses » façonnées par ces missions – aussi bien entre les différents christianismes qu’entre musulmans et chrétiens – constituent une manière de négocier leur présence auprès des différents gouvernements. La question des conversions comme transgression de cet équilibre fera du reste l’objet d’une attention particulière. Cet axe sera mené en collaboration avec le projet “Engaging Europe in the Arab World: European missionaries and humanitarianism in the Middle East (1850-1970)” financé par le NWO, l’agence nationale néerlandaise pour la recherche scientifique et l’ANR Lajeh.

Axe 3 – Missions et genre

coordination Séverine Gabry-Thienpont

À la question des identités confessionnelles s’ajoute celle du genre et de ses implications. Les missions ont en effet joué – et jouent encore – un rôle majeur dans la conception des rapports genrés entre individus. La vie apostolique féminine au Moyen-Orient, inspirée d’un modèle congréganiste européen, est devenue dans la région un phénomène d’ampleur, témoignant d’une dynamique sociale originale. À l’aune du xxie siècle, les congrégations féminines et masculines, chacune avec leurs spécificités, réorganisent l’espace des villes, des villages, mais aussi des familles, et obtiennent le statut d’interlocuteurs privilégiés, voire de médiateurs, du reste sans cesse sollicités. Quelle importance revêt donc la question du genre, comme statut socialement et religieusement normé, dans ces échanges ? Comment les individus perçoivent et reçoivent-ils les actions des femmes et hommes missionnaires ? Enfin, comment les missions influent-elles sur les pratiques religieuses féminines et masculines chrétiennes – notamment à travers de nouvelles dévotions envers les femmes – puis, plus largement, musulmanes ? Ces points sont d’autant plus centraux que nous sommes dorénavant confrontés à la nationalisation de ces congrégations : dans le cas de l’Égypte, des Égyptiens décident par exemple de devenir franciscains, tandis que des femmes coptes orthodoxes se convertissent au catholicisme pour devenir des Filles de la Charité, des Petites Sœurs de Jésus ou encore des religieuses comboniennes. Y a-t-il une imprégnation culturelle et une conception genrée de ces vocations, qui transformerait la place de ces nouveaux acteurs missionnaires au sein des villes et des villages où ils vivent ? Pouvons-nous même encore les considérer comme « missionnaires » ? C’est tout particulièrement le rôle des congrégations féminines qui sera étudié, mais aussi l’évolution de la place de la femme, religieusement considérée, dans la vie quotidienne des chrétiens et des musulmans au Moyen-Orient.

Axe 4 : Missions, patrimoine et savoir

coordination Philippe Bourmaud et Marie Levant

Les institutions missionnaires du Levant, naturellement situées à l’interface entre « monde occidental » et « monde oriental », ont servi de base, à partir des xviiie-xixe siècles, au développement d’un savoir sur les cultures chrétiennes orientales et sur les sociétés locales. Ce savoir découlait de l’analyse opérée par les missionnaires et de leur collaboration avec les institutions religieuses implantées localement telles que l’École biblique et archéologique de Jérusalem. Dans ce contexte, les missionnaires ont largement contribué à l’élaboration de topographies sacrées, incluant les territoires du Moyen-Orient à la Terre sainte. Ils ont ainsi diffusé auprès de leurs fidèles la perception d’une progressive sacralisation des territoires moyen-orientaux, incluant des phénomènes d’oubli, de réinvention et de patrimonialisation. Il conviendra alors, dans ce dernier axe, de comprendre comment les populations locales, chrétiennes, juives et musulmanes, investissent ces espaces nouvellement (re)créés à des fins religieuses, politiques ou touristiques.

De manière plus globale, ce programme interroge l’évolution de la notion de ‘mission’ depuis la période ottomane. Alors qu’apparaissent en Terre sainte des congrégations venues du « Sud », d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, il semble plus que jamais possible d’utiliser le fait missionnaire chrétien comme un observatoire régional des évolutions du religieux mondialisé. Pour mener à bien ces quatre axes, l’équipe MisSMO mettra en perspective des exemples historiques et ethnographiques allant de l’Égypte à la Turquie contemporaine en passant par le Liban, la Jordanie, la Palestine et les Lieux Saints, ou bien encore l’Irak et la Syrie, à partir de l’étude des documents issus des archives romaines, des congrégations et institutions missionnaires, ainsi que d’enquêtes de terrain à l’échelle des paroisses, pour mieux décrire l’évolution des missions et de leurs apports aux sociétés, notamment, pour les catholiques, depuis Vatican ii.

Pour suivre les activités de MisSMO

Pour citer ce billet : Philippe Bourmaud, Séverine Gabry-Thienpont, Marie Levant, Norig Neveu, Karène Sanchez, « MisSMO (Missions chrétiennes et sociétés au Moyen-Orient) : organisations, identités, patrimonialisation (XIXe-XXIe siècles) », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), le 20 septembre 2017. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/7523

القدس نهاية الفترة العثمانية في عيون الصحافة العبرية: مقاربة نظرية ونقدية

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صورة تعود للفترة (1911-1917) وهي لمداحل تُمِّهد الطريق في شارع فلسطين في القدس وفي وسط الصورة يظهر مبنى البلدية.

 

حسن أحمد حسن، الجامعة الأردنية، كلية اللغات الأجنبية

عبد الحميد الكيالي، المعهد الفرنسي للشرق الأدنى، قسم الدراسات العربية الوسيطة والحديثة (DEAMM)، عمّان

مقدمة: الإطار النظري

يُؤكد الأكاديمي والمفكر الفلسطيني إدوارد سعيد على أنّ أكثر السمات إرباكًا للصراع الصهيوني-الفلسطيني « هو التعارض شبه التام بين وجهات النظر الإسرائيلية والفلسطينية السائدة… إذ لا توجد، وبكلّ بساطة، أرضية مشتركة، ولا سرد مشترك » (Said, 2000, p. 9-14). ما يعنينا هنا هو تشديد سعيد على غياب السرد أو الرواية المشتركة بوصفها موضوعًا أساسيًا يتصل بالبحث التاريخي ويعني دارسي التاريخ. ويرجع غياب هذا النّوع من الرواية إلى أسباب تتعلق بطريقة النظر إلى تاريخ فلسطين منذ نهاية الفترة العثمانية، وربّما إلى أبعد من ذلك، أيْ إلى مُجمل تاريخ العلاقات اليهودية-الإسلامية.

من هنا يندرج بحث موضوع الصحافة العبرية نهاية الفترة العثمانية، وخصوصًا صحيفة هتسفي/ هأور، ومحرّرها إليعيزر « بيرلمان » بن يهودا (Éliézer “Perelman” Ben Yehouda) في إطار مقاربة نقدية للتاريخ الفلسطيني خلال هذه الفترة التي تعرّضت، وما تزال، لجملة من عمليات التعميم والانتقاء وإعادة التركيب في سياق تشييد الذاكرة الجماعية وصياغة التعريف الذاتي.

وفي إطار موازٍ، طالما عرضت الكتابة التاريخية والأدبيات ذات الصلة يهودَ فلسطين بوصفهم مجتمعًا فريدًا، وموحَدًا، ومُمثِّلًا في الوقت ذاته لما يمكن أن يكون عليه المجتمع اليهودي عَبر « ارتباطه المتفرد بأرض إسرائيل »، وهو ما يمثل جوهر طروحات « مدرسة القدس » التي أسّسها باحثون صهاينة أوائل القرن العشرين وأخذت شكلها في الثلاثينات من هذا القرن. وقد عزّز الإطارُ الأيديولوجي والمؤسسي في الحركة الصهيونية هذه المدرسة التي استمرت في تحديد معالم الدراسات اليهودية حتى نهاية القرن العشرين، إن لم يكن حتى اليوم (Wallach, 2017, p. 276–277).

غير أنّ توجهات جديدة في دراسة يهود فلسطين نهاية الفترة العثمانية وامتدادًا حتى فترة الإنتداب، أساسها دراسة مختلف العلاقات في إطار تاريخي، أخذت تُركز على روابط اليهود مع البيئة العثمانية والعربية في فلسطين. وقد مثَّلت هذه التوجهات –وما تزال- مراجعةً نقديةً وتجاوزًا معرفيًا لمدرسة القدس في التأريخ وما أنتجته من أدبيات. وبذلك بات يُنظر إلى يهود فلسطين بوصفهم نموذجًا يضم مجتمعات متعددة، نشطت عَبر شبكات محلية وإقليمية وعالمية، وتختلف في أصولها وطقوسها الدينية وتقاليدها الثقافية وحتى لُغاتِها التي تتوزع بين اليديشية، واللادينو، والعربية وغيرها (Wallach, 2017, p. 275–294).

الصحافة العبرية في القدس: نظرة عامة

يرى بعض الباحثين أنّ انتشار الصحف والمطابع العبرية في فلسطين مثّل « نتيجةً حتميةً » لاستمرار حركة التنوير اليهودي أو الهسكلاه (haskala) في أوروبا الوسطى والغربية، ووصولها إلى فلسطين عام 1882 في إثر الموجة الأولى من الهجرة اليهودية، والتي نتج عنها ما يُسمّى بـ « اليشوف الجديد » (الاستيطان الجديد) (yishouv). وأصدرت المجتمعات الإشكنازية والسفردية التي استقرت في فلسطين قبل عام 1882– والتي أُطلِق عليها اسم « اليشوف القديم »- صحفها الخاصة للتعبير عن وجهات نظرها التي تختلف عن تلك الخاصة بالهسكلاه (Bartal, 1994, p. 156-164).

وتجدر الإشارة هنا إلى أنّ استخدام مصطلح اليشوف يعود إلى مدرسة القدس المذكورة في الدراسات اليهودية. وعلى الرغم من أنّ النظرة إلى يهود فلسطين بين الدراسين اليوم باتت تقتضي تجاوز هذا المصطلح واستخدام غيره على نحو يعكس الواقع التاريخي كما بدا في هذه الفترة، فلا يوجد حتى اليوم مصطلح بديل يستخدمه الداراسون في هذا المجال. وذلك ما دفع الباحثَين إلى استخدام هذا المصطلح بين فارزتَين مسجلّين تحفظهم عليه.

عمومًا، مقابل التفسير السابق لانتشار الصحافة العبرية في فلسطين، يذهب تفسير آخر إلى أنّ ظهور الصحافة العبرية في هذا البلد يتموضع في سياق جيوسياسي ممثلًا بالمسألة الشرقية، التي يعود تاريخها إلى أواخر القرن الثامن عشر وحتى أوائل القرن العشرين، ويبرز في خلفيّة هذا السياق التفكك التدريجي للإمبراطورية العثمانية والتنافس الأوروبي- الروسي (Muller, 2012, p. 13-23). ومن هنا خضعت صحيفة هتسفي، وغيرها من المطبوعات العبرية لقانون الصحافة العثمانية (التنظيمات الصحفية) الصادر في 6 كانون الثاني/ يناير 1857، ووفقًا لهذا القانون لم يُسمَح بتأسيس المطابع أو إصدار الكتب والنشرات والصحف إلاّ بإذن من الباب العالي، أمّا بالنسبة إلى « الأجانب » الذين يريدون إصدار أيٍّ من هذه المنشورات فعليهم الحصول على إذنٍ من وزارة الخارجية (Sadarove, 2001, p. 30). وبذلك، صدرت أول صحيفة بكلا اللغتين العربية والتركية في القدس عام 1876 تحت اسم القدس الشريف، وكان غرضها نشر المراسيم والتعليمات العثمانية. كما صدر في العام نفسه صحيفة أخرى حملت اسم الغزال، وكانت لغتها العربية حصرًا (Ayalon and Bashir, Jarayed).

أحدثت ثورة تركيا الفتاة في صيف 1908 واقعًا سياسيًا جديدًا وأدّت إلى ازدهار مبادرات النشر في جميع أنحاء الإمبراطورية. حيث أُسِّس ما لا يقلّ عن خمسة عشر صحيفة باللغة العربية في فلسطين منذ الثورة وحتى كانون الأول/ ديسمبر 1908، كما تأسّست عشرون أخرى قبل اندلاع الحرب العالمية الأولى، ومن أبرزها « القدس » لجورجي حنانيا في القدس و »النفير » لإيليا زكا في كلٍّ من القدس ويافا، و »الكرمل » و »النفائس » في حيفا لنجيب نصار ولخليل بيدس على التوالي، و »فلسطين » لعيسى ويوسف العيسى في يافا (Ayalon and Bashir, Jarayed). وبذلك برزت الصحف في الحقبة العثمانية المتأخرة، كأداة فاعلة في شرعنة المدينة بوصفها فضاءً تشاركيًا في المجتمع وفي حثّ القرّاء على المشاركة في الحياة المدنية بصورة مسؤولة (Campos, 2011, p. 170)، وهو ما كان له أثر كبير في ظهور عدد من الصحف العبرية أو انتظام صدورها بشكل يومي، ومن بينها هتسفي.

صدرت الصحف العبرية في القدس في وقت مبكر من عام 1863. وبعد ذلك وحتى اندلاع الحرب العالمية الأولى عام 1914 صدر في القدس تسعٌ من الصحف العبرية سواءً الأسبوعية أو تلك التي تنشر مرتين أو ثلاث مرات في الأسبوع أو اليومية. وذلك بدءًا من صحيفة هالفانون (بالعبرية הלבנון وتعني لبنان) التي صدرت عام 1863- وانتهاءً بصحيفة هاحيروت (بالعبرية החרות وتعني الحرية)، وهي الصحيفة العبرية الوحيدة التي استمرت في الصدور خلال الحرب العالمية الأولى (Historical Jewish Press (hereafter HJP

صحيفة هتسفي / هأور وبن يهودا

كانت صحيفة هتسفي 1884-1915 (بالعبرية הצבי وتعني الظبي) والتي حملت في فترة معينة اسم هأور (بالعبرية האור وتعني الضوء) واحدةً من العديد من الصحف التي صدرت في فلسطين العثمانية (Galboa’,1992, p. 308-314; HJP).

أشرف على إصدار صحيفة هتسفي وتحريرها الكاتب إليعيزر بن يهودا (1858-1922) الذي اهتم بإحياء اللغة العبرية، موظفًا ذلك بما أطلق عليه « إعادة خلق الأمة ». إذ سعى طوال مسيرته إلى جعل اللغة العبرية لغة محكيّة في جميع مجالات الحياة. ونحت بن يهودا معظم مفرداته اللغوية الجديدة من الآداب التلمودية ومن اللغة العربية (Encyclopaedia Judaica; Aytürk, 2010, p. 45-64)؛ حيث وصف في عام 1918 تأثير اللغة العربية على  دراساته اللغوية في مقدمة معجمه اللغوي قائلًا: « مثّلت اللغة العربية، على نحوٍ خاص، مصدر خلاص في دراستي اللغوية للغتنا [العبرية]. أولًا … وكلّما تعمّقت في دراسة اللغة العربية، كلّما اتسعت أمامي بوابات فهم اللغة العبرية. فقد مكّنتني المفردات العربية من اكتشاف التفسير الحقيقي للكثير من المفردات التوراتية » (Ben-Yehudah, 1985, p. 70-1).

لا تقتصر أهمية دراسة صحيفة هتسفي على ما تحويه من معلومات ثرية تتعلق بشؤون المجتمعات اليهودية في القدس والاستيطان اليهودي في فلسطين، وإنّما تتعدى ذلك إلى اعتبار الصحيفة مصدرًا مُهمًا للمجال العام للمدينة، بل وللتاريخ الفلسطيني في الفترة العثمانية المتأخرة.

ومن أبرز المواضيع التي تناولتها هتسفي بشأن المجال العام للقدس؛ النظافة، ومياه الشرب، والسياحة، والبنى التحتية، والانتخابات البلدية، والفضاء الإداري للمدينة فيما يتعلق بالضرائب والقوانين الجديدة والإعلان عنها. ومع ذلك، تبقى المساحة التي خصصتها الصحيفة للشؤون اليهودية هي الأكبر من بين المواضيع التي تناولتها، ومن أبرزها أخبار الجاليات اليهودية المختلفة أو ما اصطلح على تسميته بـ « كوليل כולל » والصراعات بينها، وميزانيات هذه الجاليات والتبرعات التي تتلقاها، وقيم الضرائب التي تدفعها للحكومة، مثل بدل الخدمة عسكرية، والجهات التي تدفعها أو تموّلها، إضافةً إلى أخبار « الحاخام باشي » أو كبير رجال الدين اليهود، والمؤسسات اليهودية في القدس، والمدراس الدينية « يشيفا ישיבה »، وانتخابات لجان المدينة ولجان الجاليات اليهودية المختلفة، فضلًا عن صراعات الصحف العبرية فيما بينها.

تاريخ القدس والصحافة العبرية: سؤال المدنيّة والمصادر

إذا نظرنا إلى الوراء عند وصول بن يهودا إلى يافا ثم القدس في عام 1881، فإنه يذكر في مذكّراته، التي كتبها خلال الحرب العالمية الأولى، أنّ العرب في فلسطين كانوا يتصرفون بوصفهم « مواطني البلاد »، في حين أنّه وجد نفسه « في أرض أجداده »– حسب وصفه- لا يعدو أن يكون « شخصًا غريبًا أو دخيلًا لا يحظى بأيٍّ من الحقوق السياسية أو المدنية ». ولاحقًا، وفي نفس المذكرات، يذكر بن يهودا أنّ وصوله إلى القدس لم يحرك مشاعره كيهودي، مؤكدًا أنّ مواطني البلاد هم ببساطة « أولئك الذين يعيشون فيها، ويشاركون في حياتها العامة » (Ben-Yehuda, haHalom veShevro) (Lemire, 2013, p. 214-217). تتناقض هذه التصريحات مع أخرى سجّلها بن يهودا في عام 4/1883 في عدد من ملحق مفسيرت تسيون (بالعبرية מבשרת ציון وتعني مُبشِّرَة صهيون)؛ حيث يصف فيه وصوله القدس بحماس كبير بوصفه يهوديًا (Ben-Arieh, 1986, p. 120-1). هذا يقودنا إلى الاستنتاج بأن بن يهودا « رجل تناقضات » وعلى العديد من المستويات، ومن الضروري بذل مزيد من الجهود لتفسير هذه المتناقضات أو التوفيق بينها، إنْ أمكن، بهدف إنتاج إطار تفسيري مقبول.

تُؤكد الوقائع التاريخية أن المجتمعات اليهودية في الأحياء الجديدة من القدس نهاية القرن التاسع عشر اختلطت مع العرب في المدينة القديمة في المنطقة المفتوحة خارج بوابة الخليل، وفي ذلك الوقت شارك المسلمون في الاحتفالات الدينية اليهودية، كما شارك اليهود في الاحتفالات الإسلامية؛ وأنّ المؤمنين من كلا الطرفين، كانوا يُصَلُّون جنبًا إلى جنب استسقاءً للمطر في النبي صموئيل شمال القدس، وأنّ رجال الأعمال من كلا المجتمعين كانوا يُجرون معاملاتهم المشتركة بكلِّ حرية، وتشاركت العائلات اليهودية والمسلمة أفنية المنازل الخلفية، وانتظم كلٌّ من المسلمين واليهود في المدارس نفسها، وأحيانًا تزاوجوا فيما بينهم (Klein, 2014, p.4). ومع ذلك، تغيب هذه العلاقات المعقدة عن كلٍّ من الروايات القومية الإسرائيلية والعربية، وبدلًا من ذلك يسود حالة من القطع مع الماضي ونفي ميراثه بالكامل أو على الأقلّ جزءًا منه (Klein, 2016).

استنادًا إلى كلِّ ذلك، فإنّ سؤالًا كبيرًا يبقى وراء التفاصيل ينتظر الإجابة وهو: كيف بدا مفهوما الحداثة والمدنيّة في رأي بن يهودا، وكيف أمكن لمشروعه العبري اليهودي أن يكون جزءًا من مشروع القدس العثمانية الذي قاده العرب وغيرهم؟ تتطلب إجابة هذا السؤال– من الباحثَين- إنهاء العمل في صحيفة هتسفي وغيرها من أعمال بن يهودا، وخصوصًا مذكراته التي كتبها في السنوات الأخيرة من حياته كخطوة أولى. وبعد ذلك إجراء مقارنة أعمق وفحص أدقّ للمصادر العثمانية المحلية؛ مثل: سجّلات المحكمة الشرعية، والوقف، وبلدية القدس إضافة إلى الصحف المحلية وغيرها، وأخيرًا وليس آخرًا إنتاج المزيد من النقاشات الذهنية التي تربط بين النص والسياق وتُمهِّد الطريق لإجراء دراسات أكثر عمقًا حول هتسفي وبن يهودا في المستقبل.

وفي الختام تثير الصحافة المحلية، ومن ضمنها هتسفي، بوصفها مصدرًا تاريخيًا تساؤلًا حول أهمية المصادر المحلية في صياغة الرواية التاريخية للقدس، خصوصًا وأنّ المدينة كانت وماتزال تحظى بأهمية دينية وسياسية. وهو اهتمام فرض حضور نوع آخر من المصادر، وهي أرشيفات قنصليات القدس التي تأسّست في المدينة أواخر الفترة العثمانية خلال القرن التاسع عشر، وقد ضمّت هذه الأرشيفات وثائق حول جوانب مختلفة من الحياة في القدس وفلسطين. لا يرمز هذا التساؤل إلى صراع على أولولويّة وأهميّة أيٍّ من هذه المصادر أو هويتها أو حتى لُغتها بقدر ما يرمز إلى الصورة التي يمكن أن تحملها– أيْ المصادر- ومدى قُربها من الوقائع التاريخية واستنطاقها لتفاصيل الحياة اليومية، أيْ بمعنى مقدار ما تؤديه من خدمة للكتابة التاريخية، تساؤل يبقى برسم الإجابة.

تمثل هذه المقالة ملخصًا لمحاضرة ألقيت في المعهد الفرنسي للشرق الأدنى بالأردن في 14/3/2017. ومع أن المحاضرة تناولت كثيرًا من التفاصيل حول المجال العام لمدينة القدس كما تتكّشف في صحيفة هتسفي/ هأور من خلال دراسة ما يقرب من 800 عدد من الصحيفة، غير أن هذه المقالة تجاوزت هذه التفاصيل، وركّزت في المقابل على الأطر النظرية المتعلقة بالموضوع، إضافةً إلى أبرز الخلاصات والتساؤلات التي يثيرها. ويُشار إلى أنّ هذه المحاضرة وما سبقها من عمل بحثي يندرج في إطار انخراط الباحثَين في مشروع (Open Jerusalem Archives) الذي يدعمه المجلس العلمي الأوروبي (ERC) وتستضيفه جامعة شرق باريس (Paris-Est Marne-la-Vallee)، وأخيرًا يُشار إلى أنّ كثيرًا من مادة هذا المقال تمثل جزءاً من فصل في كتاب في طريقه إلى النشر بالإنجليزية مطلع العام 2018 تحت العنوان التالي:

“Ben-Yehuda in his Ottoman Milieu: Jerusalem’s public sphere as reflected in the Hebrew Newspaper Ha-Zvi (1884-1915)” in: A. Dalachanis ; V. Lemire (eds.), Proceedings of Open Jerusalem International Symposium “Revealing Ordinary Jerusalem (1840-1940), New Archives and Perspectives on Urban Citizenship and Global Entanglements”, Brill Publishing House- Leide

صورة

American Colony . Photo Dept, photographer. Steamroller on Jerusalem street. Jerusalem, None. [Between 1911 and 1917] Photograph. Retrieved from the Library of Congress, https://www.loc.gov/item/mpc2004000655/PP/. (Accessed November 29, 2017.)

شكر

يتقدّم الباحثان بالشكر الجزيل للزملاء فردريك أمبير وفلسطين نايلي ونوريغ نوفو، وذلك لقرائتهم المسودة الأولى لهذا المقال. كما يتقدّمان بالشكر ليائير والاخ (Yair WALLACH) من جامعة لندن لنقاشات معه دارت حول الموضوع، وكان لها أثر في تطوير الإطار النظري للمقال.

بيبلوغرافيا

  • تتوفر كامل أعداد صحيفة هتسفي/ هأور على صورة رقمية في الموقع الإلكتروني (Historical Jewish Press) الذي تأسس بمبادرة من جامعة تل أبيب وبدعم من المكتبة الوطنية في إسرائيل، وذلك على الرابط الإلكتروني التالي: http://bit.ly/2yfmx5a
  • AYALON Ami and BASHIR Nabih, Introduction: History of the Arabic Press in the Land of Israel/Palestine, Arabic Newspapers of Ottoman and Mandatory Palestine, Jarayed, http://bit.ly/2yHQkUz (accessed 8 November 2016)
  • AYTURK İlker, (2010). “Revisiting the language factor in Zionism: The Hebrew Language Council from 1904 to1914”, Bulletin of the School of Oriental and African Studies, University of London, Vol.73, No. 1, 45-64
  • BARTAL Israel [Yisra’el], (1994). “mevaser omodia le-eish yehudi: ha-itonut hayehudit ke-afiq shel chidosh”, Katedrah 71, p. 156-164
  • BEN-ARIEH Yehoshua, (1986). Jerusalem in the 19th Century: Emergence of the New City, Jerusalem, Yad Izhak Ben-Zvi and New York, St. Martin’s Press, p. 120-121
  • BEN-YEHUDAH Eliezer, (1985). Hamavo Hagadol: Introduction, Translation, Annotation, translated by S. Saulson, D. Litt. et Phil., University of South Africa, p. 70-71
  • BEN-YEHUDAH Eliezer, haHalom veShevro (Hebrew), http://bit.ly/2xBNEb7 (accessed in January 2017)
  • CAMPOS Michelle, (2011). Ottoman Brothers: Muslims, Christians, and Jews in the Early Twentieth-Century Palestine, Stanford, Stanford University Press, p. 170
  • DEUTSCH Gotthard and EISENSTEIN Judah D., “Ben Judah, Eliezer”, Encyclopaedia Judaica, http://bit.ly/2xCcvLJ (accessed 20 July 2016)
  • GALBOA’ Menocha, (1992). Liqsiqon Ha-’Itonut Ha-’Ivrit ba-Meaot Ha-shmoneh e’sreh vha-tsha’-e’sreh, Tel-Aviv, Hotsaat Mosad Byaliq, p. 308-314, http://bit.ly/2yIAvNk (accessed 20 July 2016)
  • Historical Jewish Press, “Ha-Zvi”, http://bit.ly/2yfmx5a (accessed 20 July 2016)
  • Historical Jewish Press, “The Yishuv and State of Israel Press Section”, http://bit.ly/2sKsZf6(accessed 20 July 2016)
  • KLEIN Menachem, (2014). Lives in Common: Arabs and Jews in Jerusalem, Jaffa and Hebron, translated by Haim Watzman, London: Hurst & Company, p. 4
  • KLEIN Menachem,, (2 April 2016). “The brief moment in history when a common Israeli-Palestinian identity existed”, interviewed by Nir Hasson, Haaretz, http://bit.ly/2zkxRL2 (accessed 30 November 2016)
  • LEMIRE Vincent, (2013). Jérusalem 1900: La ville sainte à l’âge de possible, Paris, Armand Colin, p. 214-217
  • MULLER Rina C., (2012). “La presse hébraïque, un vecteur de l’entrée des Juifs dans la modernité”, Yod: Revue d’Études Hébraïques et Juives17, p.13-23, http://bit.ly/2yIiBKG (accessed 20 July 2016)
  • SADAROVE Philip, (2001). The Egyptian Press and Ottoman Press Law, in al-Dawlah al-Othmaniyyah: Bidayat wa Nihayat (English section), ed. ARNOUT M. and ABU AL-SHA’AR H., al-Mafraq, The Publications of Al-Bayt University, p. 30
  • SAID Edward, (2000). “Palestinians under Siege”, London Review of Books, Vol. 22 No. 24, p. 9-14, http://bit.ly/2yeRlmw (accessed 11 June 2017)
  • WALLACH Yair, (2017). “Rethinking the Yishuv: Late-Ottoman Palestine’s Jewish Communities Revisited,” Journal of Modern Jewish Studies, Vol. 16, No. 2, p. 276–277

 

 

Pour citer ce billet :

حسن أحمد  حسن  وعبد الحميد الكيالي، « القدس نهاية الفترة العثمانية في عيون الصحافة العبرية: مقاربة نظرية ونقدية »،

Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), le 01 décembre 2017. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/7694

 

حسن أحمد  حسن : الجامعة الأردنية- كلية اللغات الأجنبية

Hassan Ahmad Hassan

Hassan Ahmad Hassan

 باحث في مجاليْ التاريخ واللغة، يحمل درجة الماجستير في الدراسات اليهودية من الجامعة الأردنية، ويركز في أبحاثه على الصحافة العبرية في نهاية الفترة العثمانية والانتداب البريطاني في فلسطين.

 

 


عبد الحميد الكيالي: المعهد الفرنسي للشرق الأدنى/ قسم الدراسات العربية الوسيطة والحديثة (DEAMM)/ عمّان

Abdul-Hameed Al-Kayyali

Abdul-Hameed Al-Kayyali

 

باحث في مجال التاريخ، يحمل درجة الدكتوراة في « دراسات العالم العربي والإسلامي » من جامعة إكس- مرسيليا، ويركز في أبحاثه على العلاقات المتبادلة في بعديْها الثقافي والديني، والتي تتضمن اليهود العرب بشكل عام، ويهود القدس في نهاية الفترة العثمانية والانتداب البريطاني في فلسطين تحديدًا.

Comment informer différemment en contexte autoritaire ? Encadrement de la profession et innovations journalistiques en Jordanie

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« Dans les années 80, si on voulait une information indépendante en Jordanie, on écoutait RMC Moyen-Orient. »

Suleyman Sweiss, directeur de la l’Association jordanienne pour les droits de l’Homme, 17 février 2017

Des années 1980 à aujourd’hui, le paysage médiatique jordanien a bien changé avec l’arrivée des chaînes satellitaires et d’Internet, deux révolutions qui ont bouleversé la production de l’information. À première vue, on pourrait penser que l’accès à l’information s’est fortement démocratisé, notamment depuis 1989, date de « l’ouverture démocratique » du système politique jordanien. La liberté de la presse étant garantie par la monarchie, on pense alors que les médias ont gagné leur indépendance et que les journalistes vont pouvoir affirmer leur rôle de contre-pouvoir, et abandonner celui de porte-parole du régime. La réalité est telle que, trente ans plus tard, les autorités politiques exercent une influence constante sur la sphère médiatique, en particulier en encadrant la profession via la définition d’une « bonne manière » d’être journaliste.

Cet article résume une recherche réalisée dans le cadre du Master 2 « Expertise Politique Comparée » de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, et basée sur une enquête de terrain de trois mois (janvier-mars 2017) à Amman. Mon postulat de départ est l’homogénéité de la production des grands médias jordaniens (TV, presse écrite et radio) qui serait le résultat direct d’un contrôle du régime dont je vais détailler les mécanismes.

À partir de ce point de départ, je me suis interrogé sur les moyens dont les Jordaniens disposent pour s’informer différemment sur leur pays. Ainsi, je me suis rendu compte qu’une forme innovante de journalisme était en train d’émerger par le biais d’Internet, « arène d’expression la plus libre et la plus authentique du pays » selon une journaliste jordanienne en free-lance.

J’ai donc circonscrit mon objet d’étude aux médias numériques non-gouvernementaux, suivis par de très nombreux Jordaniens, qui ont en commun de ne pas bénéficier de financements publics et qui ont l’ambition de proposer une offre médiatique différente de celle des grands médias nationaux. On compte à peu près 400 médias numériques en Jordanie, mais seulement une vingtaine sont des médias professionnels avec des journalistes salariés.

Au cours de mon enquête, je me suis focalisé sur cinq d’entre eux, à savoir 7iber, ARIJ, Akhbareek, Aramram et JO24.

L’encadrement de la profession et la « bonne manière » d’être journaliste

On ne peut pas comprendre l’existence et le sens de ces médias numériques non-gouvernementaux, si l’on ne se penche pas sur les mécanismes de contrôle exercés par le régime jordanien sur la profession journalistique.

Cet encadrement de la profession par les autorités jordaniennes peut être résumé par deux injonctions.  D’abord, la Loi sur la Presse et les publications de 1998 (principale loi sur la régulation de la presse en Jordanie) stipule que tout journaliste doit être enregistré à la Jordan Press Association (JPA), le syndicat national des journalistes. Cette condition est d’autant plus importante que l’indépendance de la JPA est très fortement questionnée par plusieurs rapports internationaux qui dénoncent la proximité entre le gouvernement et le syndicat. Ensuite, tous les médias, et les médias électroniques n’échappent pas à la règle, « doivent être enregistrées et sous licence auprès du ministère de la Presse et des Publications » (Art.49 Loi sur la Presse et les publications). Comme si ces deux injonctions ne suffisaient pas pour encadrer la profession, les autorités jordaniennes ont amendé la Loi sur la Presse en 2012 en posant une nouvelle condition, puisque le « rédacteur en chef du média doit être membre de la Jordan Press Association depuis au moins quatre ans ».

Perçu comme un « retour à la loi martiale » pour B., journaliste jordanien d’opposition, cet amendement vise surtout à limiter la production des nouveaux médias numériques qui sont en nombre croissant et inquiètent les autorités.

Si le débat public semble se déplacer sur internet et notamment sur ces médias numériques, les autorités jordaniennes tentent d’adapter leur contrôle aux changements du paysage médiatique, en modifiant la législation. A titre d’exemple, la loi sur les « crimes électroniques » de 2010 est souvent utilisé contre les journalistes pour sanctionner tout propos considéré comme diffamatoire, contraire aux valeurs islamiques ou susceptible d’affaiblir le régime (« undermine the regime »).

En plus de cela, la loi antiterroriste révisée en 2014 élargit la définition du terrorisme à « toute action qui pourrait mettre en danger les jordaniens en utilisant internet ou les médias » (3-b).

On retrouve ici les caractéristiques d’un « dispositif légal de restriction » décrit par Olivier Koch dans son analyse du contrôle établi par le régime de Ben Ali sur les journalistes tunisiens.

Dans le cas jordanien, les termes juridiques sont assez flous pour être utilisés dans une multitude de contextes, ce qui facilite l’arbitraire du régime à l’égard des journalistes et contribuent à une « disciplinarisation des pratiques journalistiques ».

Selon Suleyman Sweiss, directeur de l’association jordanienne pour les droits de l’homme « Les journalistes ont l’impression qu’ils peuvent être accusés pour toutes leurs publications, pour un article ou un autre. Ils vivent constamment avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête ».

Le contrôle exercé par le régime sur les journalistes entraîne inévitablement l’autocensure de ces derniers, surtout que les pressions psychologiques sont importantes, comme le souligne le directeur d’un grand média numérique jordanien, « il n’est pas rare que l’on reçoive un coup de téléphone de temps en temps pour nous dire de traiter tel sujet plutôt qu’un autre ».

Si la liberté de la presse est inscrite dans la Constitution et garantie par la monarchie, la réalité de la pratique journalistique démontre bien un encadrement de la profession par le régime qui impose une « bonne manière » d’être journaliste.

Pour sortir de ce cadre imposé, certains journalistes innovent par le biais des médias numériques pour informer différemment sur leur pays. J’ai décidé de me focaliser sur le cas particulier du média jordanien 7iber qui est, selon moi, l’exemple le plus parlant de l’émergence d’un journalisme innovant dans le pays.

7iber sur Soundcloud

Le média 7iber a été créé en 2007 par de jeunes blogueurs jordaniens. Le mot 7iber, que l’on prononce hiber signifie « encre ». Le 7 vient du fait que la lettre arabe ح, qui n’a pas d’équivalent dans l’alphabet latin, correspond à la touche 7 d’un clavier d’ordinateur. En 2007, 7iber se présente comme une plateforme citoyenne qui laisse la place aux contributions des lecteurs et qui dénote par sa liberté de parole. Le média s’impose rapidement comme une arène d’expression alternative pour tous les déçus des grands médias nationaux, et prend un essor considérable au cours des mouvements populaires de 2011-2012. En dix ans, le visage de 7iber s’est totalement transformé, d’un site d’information participatif vers un « magazine électronique qui promeut un journalisme professionnel, critique, transparent et fondé sur des valeurs progressistes », comme l’affirme Du’a ‘Ali, jeune journaliste jordanienne et rédacteur en chef du média.

Sortir du cadre imposé, réinventer le journalisme en Jordanie

Les journalistes de 7iber mettent constamment en avant le professionnalisme du média, parce que l’amalgame est souvent fait entre journalisme numérique et journalisme citoyen voire journalisme amateur.

Pour sortir du cadre imposé par le régime et combler un vide dans le paysage médiatique jordanien, ils soulignent leur neutralité, leur transparence, leur indépendance et la vérification systématique de leurs informations.

« 7iber est un média critique, qui questionne ce qui est établi dans notre société, qui pose le regard là où les gens ne regardent pas habituellement » affirme Mariam Tullic, journaliste jordanienne.

Effectivement, 7iber ouvre le débat sur des questions relativement taboues ou peu discutées, même si elles sont prégnantes dans la société jordanienne. Des sujets de société comme le suicide, le viol, les crimes d’honneur, l’addiction aux drogues ou la peine de mort sont interrogés au moyen d’enquêtes longues et fouillées basées sur des entretiens avec des témoins ou des victimes. Des questions plus politiques et presque intouchables sont également soulevées comme le poids de la loi tribale, les pouvoirs du roi, les relations diplomatiques avec Israël, la censure, le terrorisme ou encore le rôle de l’armée. Les journalistes de 7iber construisent donc un média innovant à la fois sur le fond, par les thèmes abordés, et sur la forme, par les outils utilisés et la proximité avec le lectorat.

7iber est un média qui ne peut exister que sur internet du fait de sa liberté de parole.

Mais les journalistes ont fait de l’outil numérique leur force en réinventant un format journalistique plus libre, et en utilisant des outils audio-visuels multiples qui contribuent à la richesse de leur production. Ainsi, les articles sont souvent accompagnés de reportage-photo, de vidéos explicatives, de cartes ou de graphiques réalisés par l’équipe, ainsi que d’enregistrements audio des entretiens.

L’identité de 7iber est forgée à partir d’une certaine conception du « slow journalism » adapté au contexte jordanien, c’est à dire une volonté de prendre le temps pour le choix et le traitement des sujets, afin de ne pas succomber à la spirale de l’urgence et de l’information en continu.

Les journalistes prennent du recul sur le traitement de l’information fait par les autres médias, et décident de publier moins d’articles (entre 10 et 15 par semaines), mais sous un angle différent, avec un format plus long, des enquêtes plus fouillées.

L’innovation sur la forme journalistique passe également par l’aspect participatif du média.

7iber est né comme une plateforme citoyenne et, malgré la progressive professionnalisation de l’équipe, le média conserve une volonté de faire parler les lecteurs, de les inclure dans la discussion. Ainsi, des débats sont régulièrement organisés pour aborder des questions traitées dans les articles. De même, on trouve sur le site de 7iber un calendrier des événements culturels, politiques ou sportifs choisis par la rédaction et où les journalistes et lecteurs se retrouvent, formant une sorte de communauté 7iber.

Un modèle économique qui fait débat

La liberté de parole propre à 7iber comme à d’autres médias numériques non-gouvernementaux tient à leur modèle économique. 7iber ne bénéficie ni de fonds publics ni de recettes publicitaires et ce afin de garantir une certaine indépendance à l’égard du régime et des grands acteurs économiques dans l’arène nationale.

Le média fonctionne donc grâce à des financements extérieurs octroyés par des bailleurs de fonds occidentaux. Ainsi, 7iber est soutenu par des organisations et des fondations internationales (Fonds européen pour la démocratie, Open Society Foundation, International Media Support), des agences de développement (Agence suédoise de coopération internationale pour le développement) et directement par des États étrangers, comme la Suisse ou les Pays-Bas, par le biais de leurs ambassades en Jordanie.

Comme j’ai pu le constater au cours de nombreux entretiens, ce modèle économique fait débat au sein même de la profession journalistique. Les médias bénéficiant de financements étrangers sont critiqués par la majorité des journalistes des grands médias jordaniens. Reprenant un discours anti-impérialiste, ils accusent les bailleurs de fonds étrangers d’influencer directement la ligne éditoriale des médias concernés et d’imposer aux journalistes des sujets à traiter, ainsi que des codes professionnels à respecter. Pour ces journalistes, les bailleurs de fonds étrangers apparaissent comme des « entrepreneurs de normes médiatiques ». Les médias bénéficiant de financements étrangers rejettent ces accusations mais ils sont contraints de les prendre en compte dans leur discours. Ainsi, au cours d’entretiens, plusieurs journalistes des médias étudiés ont mis en avant leur patriotisme et leur indépendance vis-à-vis des organisations occidentales. Si ce discours patriotique fait sans doute partie d’une stratégie pour se détacher des bailleurs de fonds, je pense qu’il traduit également une réalité de l’engagement professionnel des journalistes en question.

On remarque que le média 7iber n’a pas la prétention de produire une information internationale, les journalistes traitent en très grande majorité l’actualité nationale et se focalisent sur les questions sociales locales. Selon Enrico de Angelis, cet ancrage à l’échelle locale permet aux journalistes de prouver leur activisme politique, de faire entendre leur voix dans le débat national.

Cet engagement dans une voie alternative leur vaut d’être mal perçus dans le milieu professionnel, et ils sont souvent accusés de bâtir un « média négatif » qui n’aborde que des questions sensibles et ne met pas en valeur le pays.

Conclusion

Peu reconnus par la profession, fortement contrôlés par le régime jordanien et accusés d’être plus proches des organisations occidentales que des réalités du pays, les journalistes offrent pourtant une critique d’un modèle social et politique qui trouve un écho auprès de certaines franges de la population. Les journalistes des médias étudiés ont l’ambition de s’inscrire dans le débat public national, ils parlent pour ceux dont on ne parle pas dans la société jordanienne et ils veulent dire ce que beaucoup de gens pensent mais n’osent pas affirmer. En cela, ils contribuent à la formation d’une « arène alternative d’expression » rare en Jordanie, et créent un nouveau format médiatique pour dessiner le visage d’une Jordanie invisible dans les grands médias nationaux mais pourtant bien réelle.

Bibliographie

Pour citer ce billet : Simon Mangon, « Comment informer différemment en contexte autoritaire ? Encadrement de la profession et innovations journalistiques en Jordanie », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), le 20 mars 2018. [En  ligne] http://ifpo.hypotheses.org/7818

Simon Mangon

Simon Mangon

Simon Mangon est diplômé de l’Institut d’Études politiques d’Aix-en-Provence, journaliste, il a entrepris un travail de thèse qui porte sur la compréhension de l’évolution du journalisme en Jordanie et dans d’autres contextes autoritaires arabes.

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